Le jour par jour

1936   27 août   

Philippe Labro, écrivain, journaliste et réalisateur français

Philippe Labro Ecrivain et journaliste français
[Littérature française]
Né à Montauban le 27 août 1936

Biographie de Philippe Labro

C’est en Virginie que Philippe Labro commence à faire ses preuves. Il a dix-huit ans, y reste quatre ans et voyage à travers les Etats-Unis. De retour en France, il devient reporter pour Europe 1, Marie-France puis France Soir. Il part en 1960 pour l’Algérie afin d’y effectuer son service militaire et de cette expérience naîtra le roman ‘Des feux mal éteints’ publié en 1967. Il cumule les fonctions de journaliste, d’écrivain et de réalisateur. Ainsi, il présente le journal télévisé de 13 heures sur Antenne 2 en 1982-1983, devient directeur général des programmes de R.T.L. en 1985 puis vice-président de la station en 1996. Il investit très tôt le champ littéraire et reçoit, en 1986, le prix Interallié pour ‘L’étudiant étranger’, oeuvre d’inspiration autobiographique comme une partie de ses romans. Sur le plan cinématographique, c’est dès 1969 qu’il s’essaie à la réalisation avec ‘Tout peut arriver’. Reconnu, il concilie ses activités avec brio pour le plus grand plaisir de ses adeptes. Alors qu’il enchaîne les succès, Philippe Labro tombe gravement malade. Pendant un an et demi, Philippe Labro va sombrer dans le dépression et lutter pour survivre. Il raconte son combat dans ‘Tomber sept fois, se relever huit’. En 2005, il lance ‘Direct 8’, nouvelle chaîne de télévision. Le roman ‘Je connais gens de toutes sortes’ réunit des portraits, de Jack Nicholson à Jean-Jacques Goldman. Ce livre est un peu comme un recueil de sa vie.

Les anecdotes sur Philippe Labro

Visions
En 1995, Philippe Labro oscille entre la vie et la mort. Immobilisé sur son lit d’hôpital, il a deux visions : Karen, une infirmière asiatique, et une forêt de sapins bleus. Aucune jeune femme ne répond à ce nom à l’hôpital et quant aux sapins bleus…

Dédicace
Il dédie ‘Je connais des gens de toutes sortes’ à l’écrivain Françoise Giroud, qu’il considère comme la mère du genre portraitiste.

Les messages

Message de lilychic à Philippe Labro
La dernière fois que j’ai écris un commentaire sur Philippe Labro c’était il y a 3 ans déjà. Depuis, j’ai grandi, j’ai vécu tout un tas de choses et j’ai découvert de nouveaux livres mais je ne me suis jamais lassée de vos livres. A la lecture de ‘Manuella’, j’espérais devenir comme elle, à la lecture de Franz et Clara je me suis reconnue…

Message de delphisa à Philippe Labro
Bonjour ,
J’avais déjà lu quelques-uns de vos livres avant de tomber, "par hasard", alors que je suis en train de replonger dans une sorte de dépression sur : ‘Tomber sept fois et se relever huit…’ . Je vous remercie d’avoir su expliquer avec votre simplicité et votre sincérité ce qu’était une dépression. Je me suis sentie moins seule et peut être moins angoissée de savoir que quelque part vous aviez vécu cette chose-là et que vous aviez réussi à vous en sortir. Merci encore.

Message de PICHONDEVERNEUIL à Philippe Labro
Je suis à la recherche d’une cassette ou DVD de votre film "Tout peut arriver" tourné à ANGOULEME. J’ai vu dernièrement un extrait du film dans lequel on apercevait le DRUGSTORE et quelques figurants que j’aimerais reconnaitre.
A bientôt je l’espère. Très cordialement.

Message de thasio à Philippe Labro
Bonjour Monsieur Labro, j’ai découvert "l’étudiant étranger" puis "un été dans l’ouest" voici quelques années maintenant. J’en parle encore avec le même bonheur, intact, qu’à la lecture. J’ai terminé ce soir la lecture de "tomber sept fois se relever huit". Pour la première fois, j’ai presque envie de relire un livre sitôt sa lecture achevée. J’aurais pu croire que vous l’aviez écrit pour moi ! L’envie d’écrire un livre qui me taraude depuis longtemps maintenant, m’apparaît comme une mission impossible lorsque je lis les votres. Amicalement, Olivier.

Message de bedeau à Philippe Labro
C’est en mai 2001 que vous avez vaincu votre déprime. C’est en juillet 2001 que j’ai commencé la mienne.A la lecture de votre dernier livre, une foule de mauvais souvenirs a resurgi en moi ; votre notoriété et votre réputation ont contribué à rendre difficile un retour à la normalité. 2001 pour moi, c’est le séisme du cancer qui a bouleversé ma vie et celle des miens; j’ai voulu nier cet état avec le désespoir farouche de quelqu’un qui ne peut accepter que son corps le trahisse.
A celà est venue s’ajouter la terrible prise de conscience d’une vie banale, aprés le départ des enfants et la déprim s’est installée .
Je suis, comme vous , parvenue à remonter la pente. Mais – à la différence de vous- en dépit de ma victoire personnelle sur mon corps, il me reste pourtant à accepter le plus difficile: un reste de vie banal.
Et ça, c’est peut-être encore plus dur que la maladie. Cordialement martine gaillard .J’aimerais que vous me répondiez. Merci.

Message de chaya à Philippe Labro
Je n’ai découvert Philippe Labro que très récemment avec ‘Manuella’ et ‘L’Etudiant Etranger’. Que dire… Eh bien, que je trouve formidable qu’il ait pu décrire avec tant de justesse les emotions et les premiers emois d’une jeune fille de 17 ans. J’ai le meme âge que Manuella et vit quasiment à l’identique les étapes qu’elle traverse. J’ai trouvé extraordinaire qu’un homme puisse pénétrer ce monde si compliqué d’une adolescente!!! Je me demande toujours comment il a pu le faire, et écrire de telle facon que l’on se retouve exactement comme s’il transposait exactement votre manière de voir le monde à cet âge, dans les moindres details. Merci à Philippe Labro pour avoir rendu les choses tellement claires !!!

Message de francena à Philippe Labro
Toi l’auteur de romans que j’ai apprécié : ‘Un Américain peu tranquille’, ‘Le petit garçon’, ‘Un été dans l’Ouest’, ‘Des feux mal éteints’, ‘Je connais gens de toutes sortes’… mon préféré reste ‘L’étudiant étranger’ que j’ai déjà relu plusieurs fois. J’aime la clarté de l’écriture, les mots bien choisis qui imagent parfaitement les lieux, les sentiments se dévoilent au fil des pages et tout cela enchante le lecteur !
De plus, je regrette vivement que cet auteur, journaliste et parfait présentateur ne puisse pas présenter son émission ‘Ombres et Lumières’ en début de soirée.. quel dommage ! Dommage également pour ‘Légendes’ que je voudrais voir plus d’une fois par mois. Le lire est un plaisir mais l’écouter et le voir est synonyme de détente et d’enchantement…
Moi ta fan….

Message de lilychic à Philippe Labro
Quand j’ai lu pour la première fois, il y a quatre ans déjà, ‘Manuella’ je l’ai adoré, je ne me reconnaissais pas réellement dans cette jeune fille de 18 ans mais elle m’inspirait l’envie de devenir une jeune fille, d’avoir moi aussi mes 18 ans et de vivre une expérience aussi belle que la sienne… Dans un mois j’ai 18 ans, j’ai lu une bonne dizaine de fois sans jamais me lasser de ce livre. Je n’ai pas vécu d’expérience si extraordinaire mais il m’a ouvert les yeux. Juste un mot… MERCI

Message de France3 à Philippe Labro
Mon fils âge de 24 ans, à qui j’ai souvent tenté de démontrer que regarder la télévision à tord et à travers n’était pas bon pour lui m’a dit récemment qu’il regardait une émission appelée "ombre et lumière" c’est tard dans la nuit mais le présentateur Philippe Labro est formidable m’a t-il dit ; il semble donc qu’il sache faire la part du meilleur dans les programmes et c’est tant mieux car moi-même j’ai appris à vous connaître en lisant votre dernier ouvrage et j’ai été semble t-il aussi impressionnée que mon fils face à votre grand talent à dire les choses le plus simplement du monde mais surtout au plus juste ! soyez assuré, Monsieur LABRO de notre grande admiration !

Les citations de Philippe Labro

«Il y a un passage dans l’enfance où l’on devrait noter tout ce que l’on dit, car tout est sage et lumineux.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

«La femme de trente ans, c’est une femme de vingt qui n’en a pas quarante.»
[ Philippe Labro ] – Extrait du magazine Elle – 2 Février 1987

«Ils sont écrits pour les vieux, les magazines, pas pour les jeunes. Quant aux magazines pour les jeunes, ils sont quand même écrits par des vieux.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

«Le glauque, c’est les gens qui se conforment, qui suivent, qui imitent parce qu’ils ont peur, qui se soumettent aux discours du moment.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

«La vie n’est pas une comédie musicale.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

«L’Amérique lui avait enseigné qu’il est naturel et facile d’agir, alors que le continent d’où il était arrivé privilégiait l’acte de compréhension.»
[ Philippe Labro ] – Un étudiant étranger

«Sur toute expérience nouvelle, règne la permanence d’un danger.»
[ Philippe Labro ] – Quinze ans

«La dépression, c’est une manière de mort, et la vie, comme la pensée, est mouvement.»
[ Philippe Labro ] – Tomber sept fois, se relever huit

«La dépression, c’est le novembre de l’âme, le décembre du désir.»
[ Philippe Labro ] – Tomber sept fois, se relever huit

«Le désir c’est une énergie, et l’énergie c’est du désir.»
[ Philippe Labro ] – Tomber sept fois, se relever huit

«Si la vie n’est qu’une scène, alors autant y jouer un beau rôle, autant en rire.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

«Relativiser, il paraît que cela fait partie d’un processus qui s’appelle vieillir.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

«Il ne faut jamais aller plus vite que sa vitesse.»
[ Philippe Labro ] – Manuella

La bibliographie de Philippe Labro

Des bateaux dans la nuit
de Philippe Labro

Roman
Résumé du livre
Pourquoi Henry Lescrabes, dernier grand patron de la presse française, rappelle-t-il de toute urgence, de l’autre bout du monde, son enquêteur préféré, Drifter ? Avant de chavirer dans la mort, le patron lance le héros sur une piste : l’affaire Jason Villaï, ce chanteur célèbre passé par la fenêtre d’un gratte-ciel du front de Seine dans des circonstances douteuses. Quel message cache cette mission confiée in extremis comme un testa-ment ?
Tour à tour l’enquête sera suivie, menée, scrutée par Drifter et par une femme qui l’aime sans espoir de retour, Andréa, lucide et désabusée. Tous deux vont connaître les malédictions de notre « civilisation » : sexe, argent, égoïsme, appétit de puissance, à travers les coulisses de cette fin de siècle.

 

 

Manuella
de Philippe Labro

Roman
Résumé du livre
"Je n’écris que cela, des banalités. En fait, je suis nulle. Toutes mes amies me disent que je suis géniale et belle et sympa et positive, et mes parents disent la même chose et tout le monde me croit formidablement sûre de moi, si seulement ils savaient à quel point je me trouve nulle. J’ai tout faux. Je suis encore vierge, 9/10 (ou plutôt 10/10) de mes amies ne le sont plus depuis longtemps, elles ont toutes plus ou moins un garçon dans leur vie, et moi rien. Plaignez, plaignez la pauvre petite poule sans amour, la gentille fille de bon aloi qui ignore ce que l’amour physique veut dire, le bébé à l’enveloppe de femme qui a les chevilles trop épaisses, les hanches trop larges, un nez trop épaté, une oreille qui dit bonjour à l’autre, des fossettes trop hautes et un menton trop pointu, et qui marche en faisant des mouvements comme les bateaux qui tanguent dans le port lorsqu’il y a de la houle. »

Des feux mal eteints
de Philippe Labro

Roman
Résumé du livre
Toute une génération qui fut romantique sans le savoir s’est reconnue dans ce portrait. Celui des hommes qui eurent vingt ans au moment de la guerre d’Algérie, entre 1950 et 1960. Découvrant la violence et la mort, mais aussi la beauté d’Alger sous le soleil, la magie des plages nues, obsédés par l’adolescence perdue, hanté par le mythe du cinéma américain, confrontés avec la torture, ils deviennent bientôt des «adultes», c’est-à-dire qu’ils perdent leur innocence, s’ils gardent leurs nostalgies.

 

 

Le petit garcon
de Philippe Labro

Roman
Résumé du livre
La Villa, à l’écart d’une petite ville du sud-ouest de la France, ressemble, avec son immense jardin, à un paradis où rien ne peut arriver. C’est bien ce qu’avait voulu le père, un homme juste et sage. Voyant approcher la guerre, il avait quitté Paris pour mettre sa jeune femme et leurs sept enfants à l’abri. Mais quand déferlent les années quarante, le malheur atteint les univers les plus protégés. Bientôt, la Villa se peuplera d’étranges jardiniers et cuisinières. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants traqués, en danger de mort_ Puis les Allemands vont arriver et violer le sanctuaire. La paix revenue, le père sacrifie repos et confort ; il arrache ses enfants à leur paradis afin de mieux assurer leur avenir. Cette histoire est vue par un enfant. Il traverse des tragédies et rencontre des solitudes, il connaît l’enchantement de la découverte de la vie, la nature. Jamais le petit garçon n’oubliera l’imposante figure de ce père au passé mystérieux ; cette mère qui semble une grande sueur ; Dora la juive allemande qui feint d’être muette ; Sam, le jeune prof aux manières insolites ; et les jambes gainées de soie de la jolie Madame Blèze…
Sur le même ton limpide de sincérité, l’auteur de L’étudiant étranger nous livre son portrait de la province, sa vision de la famille, le tableau nostalgique d’une enfance qui a peut-être été la sienne.

Quinze ans
de Philippe Labro

Roman
Résumé du livre
Le «petit garçon» a grandi. Lycéen à Paris, il a quinze ans. C’est l’âge de la solitude, des rêves, de l’attente. Un inconnu, Alexandre, entre alors dans sa vie. Le charme slave, la grâce, l’élégance font de lui un être à part. Le narrateur réussit à devenir son ami intime et gagne le droit d’aller prendre le thé avec lui au sortir du lycée, chez la vieille et curieuse «Madame Ku».
Alexandre a une soeur. Et peut-être le merveilleux jeune homme n’est-il qu’une pâle copie de cette Anna, beauté fantasque et secrète, dont l’innocent narrateur va tomber totalement amoureux… Cette histoire tendre et cruelle se passe au début des années cinquante. Elle est à la fois le roman d’un premier amour, et la chronique exacte d’une époque où les jeunes n’avaient pas de droits, pas de moyens, où la guerre froide allait aboutir à la guerre de Corée – quand le verbe aimer avait tout son sens, quand l’air de cithare du Troisième homme résonnait dans un univers sans télé, sans pilule, sans vitesse… On se prend à envier ces adolescents dont les tumultes sentimentaux se déroulent entre le square Lamartine et la place du Trocadéro, qu’ils traversent parfois pour aller au Palais de Chaillot, écouter, sans comprendre la chance qui leur est donnée, le grand, l’unique Wilhelm Kempff.
Humour, nostalgie, émotion et violence des premières expériences, on retrouve, dans ces dialogues, scènes et portraits, le ton de sincérité de l’auteur de L’étudiant étranger.

Rendez-vous au Colorado
de Philippe Labro

Roman
Résumé du livre
« Qui ne cherche pas ne vit pas. Le chemin est plus important que le but. Santos-Montané l’a dit: "Tu ne réussiras ta vie que si elle est guidée par une recherche personnelle". Pour moi, maintenant, alors que le pick-up conduit par Larry Luke, le métayer, m’emmène enfin au ranch dans le comté de Ouray, au pied des forêts et des montagnes, j’ose m’intituler "chercheur de bleu". Chercheur de bleu, la belle expression. N’es-tu donc que cela, petit homme, et n’as-tu, toute ta vie, couru après cette couleur, c’est-à-dire cette sérénité et ce re¬fuge? Le bleu, tu l’as rencontré sous beaucoup de lati¬tudes, en chaque endroit et chaque moment de ton acti¬vité incessante. Mais n’es-tu pas aussi, comme tout autre homme, chercheur de Dieu? Le bleu, n’est-ce pas la couleur du surnaturel? »

 

Rive droite, rive gauche
de Philippe Labro et Françoise Labro
Roman
Résumé du livre
Paul Sénanques ne supporte plus les compromis. Ce brillant avocat fait partie d’une génération de rebelles que l’attrait du pouvoir et le goût de l’argent ont ralliés à l’ordre établi. Mais la passion de la vérité couve en lui. Lorsqu’il dénonce publiquement les malversations de l’un de ses clients, il se retrouve seul face à un homme qui ne lui pardonne pas d’avoir "cassé le morceau", et s’apprête à le lui faire payer très cher.
Seul? Rien n’est moins sûr. Car Paul Sénanques rencontre une femme qui, comme lui, s’accommode mal de la comédie où chacun perd sa vie en croyant la gagner. Ensemble. ils affrontent la tempête, puisant le courage de lutter dans un amour fragile que, tout semble menacer.
Récit d’action, où le monde des affaires et celui du crime se côtoient – et parfois se rejoignent -, chronique d’une initiation. amoureuse, Rive droite, Rive gauche est aussi une fable sur le pouvoir des médias et l’usage qu’un homme moderne peut en faire.

Philippe Labro

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Le jour par jour

1880   26 août   

Guillaume Apollinaire, poète français

Guillaume Apollinaire, pseudonyme de Wilhelm Albert Vladimir Popowski de La Selvade Apollinaris de Wąż-Kostrowitcky (26 août 1880, Rome – 9 novembre 1918, Paris) est un des principaux poètes d’expression française des premières décennies du XXe siècle, auteur notamment du Pont Mirabeau. Il écrit également des nouvelles et des romans érotiques (Les Onze Mille Verges, 1907). Il pratique le calligramme (terme de son invention). Il est le chantre de toutes les avant-gardes artistiques (les Peintres cubistes, 1913) et, poète (Alcools, 1913 ; Calligrammes, 1918) ou théoricien (l’Esprit nouveau et les poètes, 1917), un précurseur du surréalisme (les Mamelles de Tirésias, 1917) dont il a forgé le nom.

Sa vie

Il naît à Rome d’une mère issue de la noblesse polonaise, Angelica Kostrowicka, et de père inconnu, peut-être un officier italien. Il arrive en 1887 à Monaco, puis poursuit des études aux lycées de Cannes et de Nice. En 1899, il passe l’été dans la petite bourgade wallonne de Stavelot, un séjour quitté à "la cloche de bois" : ne pouvant payer la note de l’hôtel où Apollinaire réside avec son frère et sa mère, la famille doit quitter la ville en secret et à l’aube. L’épisode wallon féconde durablement son imagination et sa création. Ainsi de cette époque, date le souvenir des danses festives de cette contrée (" C’est la maclotte qui sautille …"), dans "Marie", celui des Hautes Fagnes, ainsi que l’emprunt au dialecte wallon.

En 1901-1902, il est précepteur dans une famille allemande. Il tombe amoureux de la gouvernante anglaise Annie Playden, qui ne cessera de l’éconduire et lui inspirera "La chanson du mal-aimé". C’est la période "Rhénane" dont ses recueils portent la trace ("La lorelei", "Schinderhannes"…). Lorsque Annie quitte la famille allemande, excédée par les assauts incessants du jeune Guillaume, il la suit en vain jusqu’en Angleterre, et Annie part pour l’Amérique en 1904, s’éloignant définitivement de lui. Le poète célèbrera sa relation avec Annie et la douleur de la rupture dans de nombreux poèmes, dont Annie et surtout "La Chanson du mal-aimé".

Entre 1902 et 1907, il travaille pour divers organismes boursiers et commence à publier contes et poèmes dans des revues. En 1907, il rencontre le peintre Marie Laurencin, avec laquelle il entretiendra une relation pleine d’émulation et d’orages. Il décide de vivre de sa plume. Il se lie d’amitié avec Picasso (il lui avait d’ailleurs dit : tu vois,moi aussi je suis peintre à cause de son travail sur les calligrammes, Derain, de Vlaminck et le douanier Rousseau, se fait un nom de poète, de journaliste, de conférencier et de critique d’art. En septembre 1911, soupçonné dans le vol de statuettes au Louvre, il est emprisonné durant une semaine à la prison de la Santé ; cette expérience le marquera. En 1913, il publie Alcools, somme de son travail poétique depuis 1898.

Peu avant de s’engager dans l’armée française en décembre 1914, il tombe amoureux de Louise de Coligny-Châtillon, rencontrée à Nice, qu’il surnomme « Lou ». Mais la jeune femme ne l’aimera jamais, ou du moins, pas comme il le voudrait ; et si elle le rejoint au régiment pendant une semaine (il connaîtra dans ses bras un érotisme violent qui marquera à jamais sa plume) ils rompent en mars 1915. Il part avec le 38e régiment d’artillerie de campagne pour le front de Champagne en avril 1915. Malgré les vicissitudes du front, il écrit dès qu’il le peut pour tenir et rester poète ("Case d’Armons", et une abondante correspondance avec Lou, Madeleine et ses nombreux amis dont André Salmon). La guerre est pour lui l’occasion de se déclarer « vrai Français », de servir sa patrie. En 1915, dans un train, il rencontre Madeleine Pagès avec laquelle il se fiancera. Transféré sur sa demande au 96e régiment d’infanterie avec le grade de sous-lieutenant en novembre 1915, il est blessé à la tête par un éclat d’obus le 17 mars 1916, alors qu’il lit le Mercure de France dans sa tranchée. Évacué sur Paris, il est trépané en mai 1916. Après une longue convalescence, il se remet progressivement au travail, fait jouer sa pièce Les Mamelles de Tirésias en juin 1917 et publie Calligrammes en 1918. Il épouse Jacqueline (la "jolie rousse" éponyme du poème) à qui l’on doit de nombreuses publications posthumes.

Affaibli par sa blessure et les gaz de combat, Guillaume Apollinaire meurt le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris alors que, dans les rues, les Parisiens célèbrent la fin de la guerre.

Son nom est cité sur les murs du Panthéon de Paris dans la liste des écrivains morts sous les drapeaux pendant la guerre 1914-1918.

Les anecdotes

Sus le banc des accusés
Le 21 août 1911, on vole ‘la Joconde’. L’enquête effraie Apollinaire : un ami lui a confié un buste volé au Louvre. Il le restitue. Mais le mal est fait et soupçonné de complicité, il est incarcéré à la prison de la Santé.

Macabre
Avant d’opter pour Apollinaire, il a signé ses premiers poèmes, en 1897, du pseudonyme ‘Guillaume Macabre’.

Un contrat avec Eros
Sous les initiales G.A. ou anonymement, il publie des romans érotiques pour assurer son existence matérielle.

Surnom
Ses amis : André Salmon, Alfred Jarry, André Billy et Max Jacob l’appellent ‘Kostro’.

Les chroniques

Le monde retrouve le sourire
10 Décembre 1913
‘La Joconde’ est sans aucun doute le plus célèbre tableau au monde. Quel ne fut donc pas l’effroi qui suivit le vol de l’oeuvre de Léonard de Vinci en août 1911. Les soupçons se portèrent notamment sur Guillaume Apollinaire. Heureusement, le 10 décembre 1913, ‘La Joconde’ est retrouvée quand le voleur, un artisan italien qui avait travaillé pour le Louvre, tente de la vendre à un antiquaire.

Une étoile de sang
17 Mars 1916
Vers 16 heures, dans une tranchée du bois des buttes sur le front de l’Aisne, le sous-lieutenant Guillaume Apollinaire reçoit des éclats d’obus de 150 qui traversent son casque. On doit le trépaner. En décembre, au cours d’un banquet donné en son honneur, il déclare : "Une étoile de sang me couronne à jamais." Le monde des arts paie un lourd tribut à la guerre. Ceux qui vont en revenir seront profondément marqués par l’horreur de cette expérience. Leur oeuvre en sera radicalement bouleversée.

Regards sur l’Œuvre

Influencé par la poésie symboliste dans sa jeunesse, admiré de son vivant par les jeunes poètes qui formèrent plus tard le noyau du groupe surréaliste (Breton, Aragon, Soupault — il est à noter qu’Apollinaire est l’inventeur du terme « surréalisme »), il révéla très tôt une originalité qui l’affranchit de toute influence d’école et qui fit de lui un des précurseurs de la révolution littéraire de la première moitié du XXe siècle.

Apollinaire se caractérise par un jeu subtil entre modernité et tradition, par un renouvellement formel constant (vers libre, monostiche, création lexicale, syncrétisme mythologique), par une imprégnation de tout ce début de XXe siècle, période de renouveau pour les arts et l’écriture, avec l’émergence du cubisme dans les années 1910, du futurisme italien en 1909 et du dadaïsme en 1916. Apollinaire entretient des liens d’amitié avec nombre d’artistes et les aide dans leur parcours artistique ("la phalange nouvelle").

Le spécialiste incontesté et brillant d’Apollinaire est – était – feu Michel Décaudin, auteur fin, drôle, pédagogue, de nombreuses critiques, dossiers, articles, préfaces et éditions du poète, ainsi que d’une thèse indispensable, La crise des valeurs symbolistes. M. Décaudin est décédé en 2005. À sa suite, Mmes Claude Debon et Laurence Campa assurent l’actualité de la recherche sur Apollinaire.

Bibliographie

Poèmes

Le Bestiaire ou cortège d’Orphée (illustré de gravures par Raoul Dufy), 1911.
Alcools (poésie, recueil de poèmes composés de 1898 à 1913), Mercure de france, 1913.
Vitam impendere amori (illustré par André Rouveyre), 1917.
Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916, 1918.
Il y a…, 1925.
Ombre de mon amour, 1947 (poèmes adressés à Louise de Coligny-Châtillon pendant la guerre de 1914-1918)
Poèmes secrets à Madeleine, 1949 (poésie sous le manteau)
Le Guetteur mélancolique, 1952.
Poèmes à Lou [1947] 1956.
Soldes, 1985 (poésie, poèmes inédits)
Et moi aussi je suis peintre, 1914 (album d’idéogrammes lyriques coloriés, resté à l’état d’épreuve. Les idéogrammes seront insérés dans le recueil Calligrammes)

Romans, contes

Mirely ou le Petit Trou pas cher, 1900 (roman pornographique écrit sous pseudonyme pour un libraire de la rue Saint-Roch à Paris).
Les Onze Mille Verges ou les amours d’un hospodar, 1907 (roman pornographique publié sous le manteau).
L’Enchanteur pourrissant, 1909 (illustré de gravures d’André Derain)
L’Hérésiarque et Cie, 1910 (contes).
Les Exploits d’un jeune Don Juan, 1911 (roman érotique).
La Rome des Borgia, 1913.
La Fin de Babylone – L’Histoire romanesque 1/3, 1914.
Les Trois Don Juan – L’Histoire romanesque 2/3, 1915.
Le Poète assassiné, 1916 (contes).
La Femme assise, Gallimard, 1920.
Les Épingles, 1928 (contes).
Que faire ?, 1950 (roman-feuilleton fait comme nègre).

Critique et chroniques

La Phalange nouvelle, 1909 (conférence).
L’Œuvre du Marquis de Sade, 1909 (édition).
Les Poèmes de l’année, 1909 (conférence).
Les Poètes d’aujourd’hui, 1909 (conférence).
Le Théâtre italien, 1910 (encyclopédie littéraire illustrée).
Pages d’histoire, chronique des grands siècles de France, 1912 (chronique Historique).
La Peinture moderne, 1913.
Les Peintres cubistes, Méditations esthétiques, 1913.
L’Antitradition futuriste, manifeste synthèse 1913.
Le Flâneur des deux rives, Éditions de la Sirène, 1918 (chroniques).
La Poésie symboliste, 1919.
Anecdotiques, 1926 (chroniques du Mercure de France entre 1911 et 1918).
Contemporains pittoresques, 1928 (recueil d’articles publiés dans le Mercure de France).
L’Esprit nouveau et les Poètes, 1946 (article publié dans le Mercure de France).
Textes inédits, 1952.
Chroniques d’art 1902-1918, 1960.
Petites merveilles du quotidien (textes retrouvés), Fata Morgana, 1979.
Petites flaneries d’art (textes retrouvés), Fata Morgana, 1980.

Théâtre, cinéma

Les Mamelles de Tirésias, 1917 (drame surréaliste en deux actes et un prologue).
La Bréhatine, 1917 (scénario de cinéma coécrit avec André Billy).
Couleurs du temps, 1918.
Couleur du temps, 1949.
Casanova, comédie parodique, 1952.

Correspondance

Lettres à sa marraine 1915–1918, 1948.
Tendre comme le souvenir, lettres à Madeleine Pagès, 1952.
Lettres à Lou (éd. Michel Décaudin), Gallimard, 1969.
Lettres à Madeleine. Tendre comme le souvenir. Édition revue et augmentée par Laurence Campa,
Gallimard, 2005.

Journal

Journal intime (1898-1918) (éd. Michel Décaudin), 1991 (fac-similé d’un cahier inédit d’Apollinaire).

Les messages

Message de Leia à Guillaume Apollinaire

Je ne sais pas quel homme vous étiez. Je ne sais pas si nous aurions pu nous comprendre. Mais je sais que grâce à vous j’ai découvert ce qu’est vraiment la poésie. J’aime les mots, j’aime la langue, et "Alcools" a été pour moi une véritable révélation. A chaque fois que je relis vos poèmes, je les redécouvre, je les savoure, je les ressens. "Les souvenirs sont cors de chasse/ Dont meurt le bruit parmi le vent"… Pas le vôtre en tout cas, jamais ceux qui aiment le français ne vous oublierons Monsieur l’apatride. Merci, tout simplement.

Les livres

Lettres à Madeleine
Tendre comme le souvenir

de Guillaume Apollinaire
[Correspondance]
Résumé du livre
‘2 décembre au soir [1915]. Mon amour dans l’horreur mystérieuse métallique muette mais non silencieuse à cause des bruits épouvantables des engins qui sifflent geignent éclatent formidablement notre amour est la seule étoile, un ange parfumé qui flotte plus haut que la fumée noire ou jaune des bombes qui explosent. Écris-moi de l’amour, sois-moi ma panthère pour me remettre dans la vie de notre cher amour. Je pense à ton corps exquis, divinement toisonné, et je prends mille fois ta bouche et ta langue.’ Janvier 1915, Guillaume Apollinaire rencontre Madeleine Pagès dans le train qui le ramène à Nîmes où il fait ses classes. C’est le début d’une relation épistolaire tendre et sensuelle à travers laquelle Apollinaire visite le mythe du coup de foudre et de l’amour idéal.
Les critiques
le 14 Avril 2005

« Mais reprenons l’amour qui est la seule chose qui vaille la peine qu’on en parle. » Le 2 janvier 1915, Guillaume Appolinaire, artilleur au 38ème régiment, quitte Lou en gare de Nice pour rejoindre son unité. Dans le train, il partage son compartiment avec une jeune fille, Madeleine Pagès. Pendant plus d’un an, ils s’écriront quotidiennement leur amour, un amour chaste et cruel, sublimé par la guerre, qu’ils vivent éloignés l’un de l’autre, ne se voyant qu’une seule fois, lors de d’une permission. Mais fin 1916, tout est consommé, c’est la rupture. Cette nouvelle édition (la précédente datait de 1966) reprend l’intégralité de leur correspondance sans ne plus rien cacher des émois épistolaires des deux amants, tantôt romantiques, tantôt érotiques, parfois impudiques. Guillaume Appolinaire n’y exprime pas seulement son amour et son désir, ses lettres sont aussi une fascinante conversation littéraire : il y évoque son oeuvre et ses projets, il y parle de la littérature et des auteurs qui comptent. Formidable témoignage historique, le recueil est aussi remarquable du fait de la place faite à la guerre, qui, présente à chaque page, nourrit et inspire le poète autant que l’amour ("ah, que la guerre est jolie…"). A noter : les calligrammes et certaines des lettres sont reproduits en fac-similé.
Nicolas Pette
Les extraits de "Lettres à Madeleine"

La dernière phrase
Mille baisers. J’écrirai dans 2 ou 3 jours.

La phrase à retenir
Mon amour tu es un amour et me donnes chaque jour des joies nouvelles

Morceau choisi
Je voudrais que cette guerre trop chaste cesse vite. Mais il faut bien après tout que la guerre soit chaste. Si elle ne l’était pas quel soldat voudrait se battre ! Il y a des secteurs, paraît-il, au demeurant où l’on est moins chaste, mais c’est mal à mon avis. Et je t’adore ma chérie, avec ma chasteté infiniment voluptueuse que je te dédie, car tout est chaste en mon âme d’ici, ce qui n’empêche nullement que mon amour pour toi ne soit depuis quelque temps pas chaste du tout. Ah mais…

Alcools
de Guillaume Apollinaire
[Poésie]
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Ces vers du "Pont Mirabeau", comme ceux de "La Chanson du mal-aimé" ou de "Zone", tous issus du recueil Alcools ont fait la fortune littéraire d’Apollinaire, et un grand classique de la poésie. Toutefois, ce classicisme ne doit pas faire oublier qu’en son temps ce recueil constitua une véritable révolution poétique : après Rimbaud, Apollinaire transforme toutes les règles d’un lyrisme devenu vieillot à son goût. Il faut pouvoir chanter le monde, jusque dans sa réalité la plus crue, mais aussi jusque dans ses progrès les plus récents : la tour Eiffel ("Zone") côtoiera donc les cellules de la prison de la Santé ("À la Santé"). Sur ce modèle se succéderont alors la mort, la fuite du temps et surtout l’amour : tantôt lumineux, tantôt obscur, mais toujours au centre de ces ivresses poétiques.
Avec Alcools, Apollinaire deviendra le modèle de tous les poètes à venir, et en particulier des surréalistes.
Karla Manuele

Guillaume Apollinaire

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Le jour par jour

1717   25 août   

Carmontelle, écrivain et peintre français

Louis Carrogis , dit Louis de Carmontelle ou Carmontelle, né à Paris le 15 août 1717 et mort à Paris le 26 décembre 1806,
est un peintre, dessinateur, graveur, auteur dramatique et architecte-paysagiste français.
Grand ordonnateur des fêtes du duc d’Orléans, célèbre pour ses portraits comme pour ses petites comédies improvisées appelées Proverbes,
il est connu également pour avoir inventé les transparents,
précurseurs de la lanterne magique,
et pour avoir agencé le parc Monceau de Paris.

Sa vie et son œuvre

Né d’un père cordonnier d’origine ariégeoise, il apprend la peinture et le dessin en autodidacte et trouve un emploi de tuteur en mathématiques auprès des enfants de la noblesse. Il participe à la guerre de Sept Ans en qualité de topographe, tout en occupant ses loisirs à croquer les soldats de son régiment. De retour à Paris en 1763, il entre au service du duc d’Orléans en tant que lecteur.

« Cette place de lecteur était subalterne, écrit Madame de Genlis, puisqu’elle ne donnait pas le droit de manger avec les princes, même à la campagne. Ainsi que le docteur Tronchin, M. Carmontelle jouissait de la distinction de venir tous les soirs prendre des glaces avec le Prince et les personnes de la cour…»

  (Carmontelle présentant les clés du parc Monceau au duc de Chartres (1790).)

Carmontelle se fait cependant apprécier pour son esprit et pour son habilité à portraiturer les personnages, petits et grands, qui fréquentent la cour. Son principal emploi consiste à orchestrer les fêtes et les divertissements dont raffole la noblesse. À l’aide d’une machine qu’il a lui-même inventée, il fait défiler des paysages transparents devant les invités du duc. Il improvise des comédies dont les acteurs sont choisis parmi l’assistance, tandis que les spectateurs sont invités à deviner les proverbes qui en forment la trame. Certaines de ses pièces sont mis en musique par Jean-Benjamin de Laborde et représentées dans les théâtres privés des grandes courtisanes.

En 1785, à la mort du duc d’Orléans, il se retrouve au service de son fils, le duc de Chartres et futur Philippe Égalité, pour lequel il dessine les plans du parc Monceau et en conçoit les folies. Lorsque le duc de Chartres est guillotiné en 1793, Carmontelle prend sa retraite dans un petit logement de la rue Vivienne, où il meurt neuf ans plus tard à l’âge de 89 ans.

Les portraits

On connaît de lui plus de 600 portraits. Le baron Grimm, qui posa lui-même pour Carmontelle en 1769, écrit à leur propos :

   (Le baron Grimm.
Gravure de John Swaine d’après Carmontelle (1769).)

« M. de Carmontelle se fait depuis plusieurs années un recueil de portraits dessinés au crayon et lavés en couleurs de détrempe. Il a le talent de saisir singulièrement l’air, le maintien, l’esprit de la figure plus que la ressemblance des traits. Il m’arrive tous les jours de reconnaître dans le monde des gens que je n’ai jamais vus que dans ses recueils. Ces portraits de figures, toutes en pied, se font en deux heures de temps avec une facilité surprenante. Il est ainsi parvenu à avoir le portrait de toutes les femmes de Paris, de leur aveu. Ses recueils, qu’il augmente tous les jours, donnent aussi une idée de la variété des conditions ; des hommes et des femmes de tout état, de tout âge s’y trouvent pêle-mêle, depuis M. le Dauphin jusqu’au frotteur de Saint-Cloud.»

Cent ans plus tard, cette analyse de Grimm se trouve en large partie confirmée par deux historiens de l’art :

« Ces portraits fait généralement de profil, en pied, de format in-folio, sont d’une ressemblance très fidèle, bien que terre à terre et sans grand style. Au crayon, lavés d’aquarelle, rehaussés quelquefois de pastel ou de gouache, ces dessins forment une galerie des plus curieuses et des plus intéressantes, particulièrement pour les descendants du duc d’Orléans, puisque ce sont les amis de leur famille.»

Carmontelle, qui ne monnayait pas ses portraits et aimait à en distribuer des copies à ses amis, avait soin d’en conserver les originaux, de sorte que la majeure partie en fut préservée, pour être recueillie par la suite au château de Chantilly et au musée Carnavalet. Beaucoup d’entre eux furent reproduits par des graveurs de renom, l’un des plus célèbres étant La Malheureuse Famille Calas, gravée en 1765 par Jean-Baptiste Delafosse.

L’estampe des Calas

Cette année-là, un proche de Voltaire, Étienne Noël Damilaville, a l’idée de lever une souscription pour venir en aide à la famille Calas, dont le père a été injustement condamné au supplice. Les souscripteurs, que Grimm et ses amis s’empressent de solliciter dans toute l’Europe, y compris en Russie, recevront en échange de leurs dons un portrait de Madame Calas, que Carmontelle a accepté de dessiner.

   (La malheureuse famille Calas
Gravure de Jean-Baptiste Delafosse d’après Carmontelle (1765).
Légende : « La Mère, les deux Filles, avec Jeanne Viguière, leur bonne Servante, le Fils et son ami, le jeune Lavaysse.»)

Au mois d’avril, soit quelques jours après le jugement de réhabilitation obtenu grâce aux efforts de Voltaire, Damilaville lui fait part de son projet : « Un de nos amis la dessine actuellement avec Lavaysse[4] et toute sa famille dans un même tableau où ils seront dans une prison.[5] » Voltaire s’enthousiasme aussitôt : « L’idée de l’estampe des Calas est merveilleuse. Je vous prie, mon cher frère, de me mettre au nombre des souscripteurs pour douze estampes.[6] » Voltaire non seulement acheta les estampes, mais il en fit accrocher une dans l’alcôve où se trouvait son lit.

Les proverbes

Les proverbes de Carmontelle constituent par excellence un théâtre de société. À l’origine, ce ne sont guère que des canevas sur lesquels les personnages de la cour sont invités à improviser. Carmontelle lui-même y prend part en se réservant le rôle du mari avare et jaloux. Il y met tant de vérité que le duc d’York, frère du roi d’Angleterre, se serait un jour exclamé : « Cela est si parfait que si cet homme-là veut se marier, il ne trouvera jamais une femme. »

Environ une centaine de proverbes a été conservée. Ce sont des petites comédies sans prétention, à la trame légère et dépourvues de toute action dramatique. La plupart des critiques s’accordent pour ne leur trouver qu’un faible mérite littéraire. Diderot commente ainsi deux d’entre eux :

« La Rose rouge, ou Qui dit ce qu’il sait, qui donne ce qu’il a, qui fait ce qu’il peut, n’est pas obligé à davantage : Le sujet est joli et le proverbe est détestable. C’est un peintre qui fait pour enseigne une rose rouge à un marchand qui lui demande un lion d’or. Le peintre fait ce qu’il peut, le marchand donne en payement du vin qu’il a et la femme du peintre dit ce qu’elle sait.

Les Époux malheureux, ou Le Diable n’est pas toujours à la porte d’un pauvre homme : Les pauvres époux essuient successivement tout ce qu’il est possible d’imaginer de désastres, lorsque la mort subite d’un oncle les remet au-dessus de leurs affaires. C’est le fond d’une comédie charmante et du plus grand pathétique. Ah ! si ce sujet fût tombé dans la tête d’un poëte, il y a de l’étoffe pour cinq bons actes bien conditionnés et bien chauds.»

Il faut attendre près d’un siècle pour que le vœu exprimé par Diderot se trouve exaucé en la personne d’Alfred de Musset. C’est lui qui insuffle aux proverbes la poésie qui leur manquait, quitte à les plagier parfois sans vergogne. On retrouve ainsi dans On ne saurait penser à tout, que Musset fait jouer pour la première fois en société en 1849, des scènes entièrement retranscrites du proverbe de Carmontelle intitulé Le Distrait.

Les transparents

Les transparents de Carmontelle se composent d’un long rouleau de toiles peintes cousues bout à bout. Tendu entre deux bobines et éclairé par transparence, ce rouleau défilait devant les yeux des spectateurs en leur donnant l’impression de se mouvoir à travers un charmant paysage. Leur enchantement atteignait à son comble lorsqu’ils reconnaissaient, parmi les personnages qui s’y promenaient, ceux qu’ils avaient eux-mêmes incarnés dans les proverbes.

En 1801, Carmontelle, alors âgé de 84 ans, fit voir ses transparents à Madame de Genlis, qui écrit :

« À mon retour en France, Carmontelle vivait encore. Il vint me voir souvent à l’Arsenal et me montra cette sorte de lanterne magique si originale et de l’effet le plus agréable. Il était alors en marché pour la vendre très-avantageusement en Russie.»

Le pays d’illusions

  (Vue des tentes turques.
Gravure de Jean-Baptiste Delafosse d’après Carmontelle (1779)

Sur une parcelle de terrain située dans le village de Monceau, au nord-ouest de Paris, acquise en 1769 par le duc de Chartres, Carmontelle est chargé d’agencer un jardin d’agrément. Il se met au travail en 1773 et conçoit un parc dans le style anglo-chinois, que l’on appelle alors la « folie de Chartres ».

Ainsi qu’il l’explique dans un album où il défend son œuvre, qui fut vivement critiquée, son ambition était de créer « un jardin extraordinaire où seraient réunis tous les temps et tous les lieux.[11] » Dans ce « pays d’illusions », le promeneur se voyait offrir un parcours jalonné de dix-sept édicules appelés fabriques ou folies. Au détour d’un chemin, il découvrait entre autres une tour avec pont-levis, une allée des tombeaux, une île des moutons, un moulin à eau en ruines, un moulin à vent hollandais, une colonnade corinthienne, un temple de Mars, des tentes tartares, un obélisque, un minaret, une pyramide égyptienne, un carrousel chinois, une naumachie. Ainsi que l’avait voulu le duc de Chartres, grand maître du Grand Orient de France, certaines de ces constructions étaient ornées en outre de symboles maçonniques.

Achevé en 1778, le parc Monceau fut par la suite plusieurs fois réaménagé, ne laissant que très peu d’éléments du jardin tel que Carmontelle l’avait conçu.

lA galerie de portraits

>

Bibliographie à propos de

Carmontelle au jardin des illusions
de Laurence Chatel de Brancion
Résumé du livre
Topographe, lecteur du duc de Chartres, organisateur de fêtes, critique d’art, auteur de proverbes, inventeur des transparents pour lanterne magique, le peintre Louis de Carmontelle (1717-1806) a fait le portrait de la société de son temps. Au Palais-Royal où il vivait, il a observé les dernières années de l’Ancien Régime et posé un regard plein d’humour sur ce temps des Lumières

 

La Comédie des Proverbes de Carmontelle
Résumé
La vaste production littéraire de Carmontelle (on possède 139 proverbes et 83 comédies) allait toute entière au monde aristocratique qui s’était emparé du jeu dramatique comme d’un plaisir personnel. Ce monde jouait et se regardait jouer sans voir combien cet auteur le croquait avec malice. Ces princes s’encanaillaient à jouer leurs propres valets, leurs paysans et les bourgeois, permettaient à Carmontelle de mettre en scène toutes les couches sociales de son époque.

Avec ces deux programmes : A LA VILLE et A LA CAMPAGNE, nous pouvons voir combien l’oeuvre de Carmontelle est actuelle. Une société joue la société dans tous ses états. La composition de bourgeois parvenus et vulgaires, de médecins doctes et pourtant ignares, d’ecclésiastiques rodomonts, de vieillards masquant sous couvert de bon sens économiques leur besoin d’étreintes juvéniles et leur avarice, l’obsession des gouvernants à vouloir être artiste et la nécessaire filouterie du peuple.

1er programme : A la Ville // Le Seigneur Auteur, Les Deux Chapeaux, La Médaille d’Othon, Le Portrait, Le Distrait, L’Etranger.

2ème programme : A la Campagne // Les Ennuis de la Campagne, Criardus et Scandée, Le Malentendu, Le Seigneur du Village Amoureux, Le Faux Empoisonnement, L’Histoire.

Le proverbe dramatique, jeu de société.

Carmontelle, mieux que tout autre a su définir ce qu’est le proverbe dramatique : "le proverbe dramatique est donc une espèce de comédie que l’on fait en inventant un sujet, ou en se servant de quelques traits de quelque historiette, etc. Le mot du proverbe doit être enveloppé dans l’action, de manière que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu’on le leur dit, qu’ils s’écrient : "Ah ! c’est vrai", comme lorsqu’on dit le mot d’une énigme que l’on n’a pu trouver."

Louis CARROGIS dit CARMONTELLE

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Le jour par jour

1951   24 août   

Orson Scott Card, écrivain de science-fiction américain.

Orson Scott Card (né le 24 août 1951 à Richland dans l’État de Washington) est un écrivain de science-fiction américain s’étant notamment illustré dans le sous genre de la fantasy .

Il reçut les prix Hugo et Nebula deux années consécutives, au titre de son Cycle d’Ender, ce qui constitue une première dans l’histoire de la science-fiction.

Biographie

Né dans l’État de Washington aux États-Unis, il a été missionnaire au Brésil. Il est membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (mormons) et enseigne actuellement à Salt Lake City.

En 1977, il publie une première nouvelle, pour laquelle il obtient le prix John Campbell (meilleur nouvel auteur en science-fiction). En 1979, il publie son premier roman, Une planète nommée trahison.

En 1985, il publie la Stratégie Ender, récompensé à la fois par le prix Hugo et par le prix Nebula. La suite de ce roman, la Voix des morts, reçoit à nouveau le prix Hugo et le prix Nebula, une première dans l’histoire de la science-fiction.

Au cours des années 1990, il participe à la réalisation de plusieurs jeux vidéos chez LucasArts comme Loom, The Dig ou The Secret of Monkey Island.

Malgré le succès du cycle d’Ender, cet auteur est plutôt orienté vers la fantasy.

En 2005, il scénarise deux mini-séries de comics Ultimate Iron Man pour Marvel Comics dessinées par Adam Kubert et Pasqual Ferry.

Œuvres

Particularités

Ses œuvres tournent toujours autour du facteur humain, la technologie (ou son absence !) n’étant que la toile de fond sur laquelle évoluent les personnages, souvent de jeunes enfants, qui vivent souvent une trajectoire initiatique. Sa croyance mormone apparaît plus ou moins selon les romans. Les religions, qu’elles soient inventées, comme dans le Cycle d’Ender, ou réelles sont souvent présentes dans ses œuvres, et sa connaissance des textes sacrés est très poussée.

Le Cycle d’Ender

Le Cycle commence avec l’histoire d’Ender (le "dernier" fils de sa famille), qui, âgé de six ans, est éduqué pour devenir chef de guerre et mener les forces terriennes pour vaincre une race insectoïde d’extra-terrestres surnommés les "Doryphores". La suite du cycle va conduire Ender à rencontrer d’autres races et à pousser très loin sa réflexion sur la différence et l’altérité.

Ender’s Game, 1985 (la Stratégie Ender)
Speaker for the Dead, 1986 (la Voix des morts)
Xenocide, 1991 (Xénocide)
Children of the Mind, 1996 (les Enfants de l’esprit)

First Meetings est un recueil de nouvelle de 2002 de la série Ender contenant :
Ender’s Game, 1985
l’histoire originale
The Polish Boy
l’enfance du père d’Ender
Investment Counselor (Le Conseiller financier)
première rencontre entre Jane et Ender

Le Cycle de l’ombre

Le cycle de l’Ombre est consacré à l’histoire de "Bean", jeune garçon, ami et lieutenant d’Ender.

Ender’s Shadow, 1999 (la Stratégie de l’ombre)
Shadow of the Hegemon, 2001 (l’Ombre de l’Hégémon)
Shadow Puppets, 2002 (les Marionnettes de l’ombre)
Shadow of the Giant, 2005 (l’Ombre du géant)
Remarque: Ce Cycle de l’Ombre ne semble pas figurer dans les éditions et critiques anglophones de l’œuvre d’O.S. Card. Les romans Ender’s Shadow, Shadow of the Hegemon et Shadow Puppets y font partie du cycle d’Ender.

Les Chroniques d’Alvin le Faiseur

Ce cycle (qui est une uchronie) se passe dans une Amérique du XIXe siècle où la magie est présente. Chaque personnage a un talent magique plus ou moins développé, y compris des personnages empruntés à l’histoire réelle des États-Unis d’Amérique.

Seventh Son, 1987 (le Septième Fils)
Red Prophet, 1988 (le Prophète rouge)
Prentice Alvin, 1989 (l’Apprenti)
Alvin Journeyman, 1995 (le Compagnon)
Heartfire, 1998 (Flammes de vie)
The Crystal City, 2003 (la Cité de cristal)
Master Alvin à paraître

Nouvelles :

The Grinning Man, 1998 (Légendes) anthologie présentée par Robert Silverberg
Yazoo Queen, 2003 (Légendes II) présenté par Robert Silverberg

Les femmes de la genèse

] Sarah, 2000
Rebekah, 2001
Rachel and Leah, 2004
The Wives of Israel à paraître

Le Cycle de la Terre des origines

Après trente millions d’années d’efforts sur une lointaine planète, le super-ordinateur Surâme se fait vieux et constate amèrement que ses efforts n’ont mené à rien, car l’Homme est incapable d’harmonie. Il décide de lancer une mission de retour vers la Terre.

The Memory of Earth, 1992 (Basilica)
The Call of Earth, 1992 (le Général)
The Ships of Earth, 1994 (l’Exode)
Earthfall, 1995 (le Retour)
Earthborn, 1995 (les Terriens)

La Geste Valois

The Worthing Saga – The Worthing Chronicle, 1989 (La Geste Valois – Jason Valois)
Tales of capitol, Tales of the forest of waters, 1989 (Contes de Capitole et de la Forêt des eaux, L’Atalante)
Skipping Stones, 1979 (Et les pierres ricochaient sur l’eau)
Second Chance, 1979 (Re-naissance)
Lifeloop, 1978 (Spectacle-vie)
Breaking the Game, 1979 (Sabotage !)
Killing Children, 1978 (Le massacre des enfants)
And What Will We Do Tomorow ?, 1979 (Et que ferons nous demain ?)
Worthing Farm, 1979 (La ferme Valois)
Worthing Inn, 1979 (L’auberge Valois)
The Tinker, 1980 (Le rémouleur)

Autres Romans

A Planet Called Treason, 1979 (Une planète nommée trahison, Denoël Présence du futur)
Song Masters, 1980 (Les Maîtres Chanteurs)
Hart’s hope, 1983 (Espoir-du-cerf)
Wyrms, 1987 (Patience d’Imakulata)
The Good Samaritan, 1989
Scénario écrit pour Family Entertainment Network series les dessins animés du Nouveau Testament.
The Abyss, 1989 (Abyss, J’ai Lu) novellisation du film de James Cameron de 1989
How to Write Science Fiction & Fantasy, 1990 Prix Hugo 1991 du livre non fictionnel
The Worthing Saga, 1990 révision de The Worthing Chronicle
Lost Boy, 1992
A Storyteller in Zion, 1993
Lovelock, 1994
co-écrit avec Kathryn H. Kidd.
Pastwatch: The Redemption of Christopher Columbus, 1996 (La Rédemption de Christophe Colomb)
Treasure Box, 1996 (Le trésor dans la boîte)
Stone Tables, 1997
Homebody, 1998
Enchantment, 1999 (Enchantement)
Magic Mirror, 1999

Livre pour enfant

Robota, 2003
Magic Street, 2005
Pastwatch à paraître
Rasputin co-écrit avec Kathryn H. Kidd.
Ultimate Iron Man, 2005 comics

Nouvelles et recueils de nouvelles

Sonate sans accompagnement / Unaccompanied sonata (1981) Denoël Présence du futur
Tin-men, 1980 (Les hommes de fer blanc)
Ender’s Game, 1977 (Fin de partie)
Kingsmeat, 1979 (Mets de roi)
Deep Breathing Exercices, 1979 (Exercices respiratoires)
Closing the Timelid, 1979 (Temps mort)
I Put My Blues Genes On, 1978 (Retour aux sources)
Eumenides in the Fourth Floor Lavatory, 1979 (Les eumenides dans les toilettes du quatrième)
Mortal Gods, 1979 (Les dieux mortels)
Quietus, 1979 (Quietus)
The Monkeys Thought ‘Twas All in Fun, 1979 (Un jardin de roses)
The Porcelain Salamander, 1981 (La salamandre de porcelaine)
Unaccompagnied Sonata, 1979 (Sonate sans accompagnement)

Ses citations

«Les êtres humains n’ont pas développé un cerveau pour se prélasser autour des lacs. Tuer est la première chose que nous avons appris. Et c’est une bonne chose, ou nous serions morts, et les tigres posséderaient la terre.»
[ Orson Scott Card ] – La stratégie Ender

Bibliographie

La stratégie Ender Tome I
d’Orson Scott Card
Science-Fiction
Résumé du livre
Ender a six ans. C’est un combattant redoutable. Mais ce n’est rien encore à côté de ce qu’il deviendra au terme dé l’entraînement qui le destine à devenir l’amiral de toutes les flottes terriennes. Le soldat absolu. S’il survit. S’il ne craque pas.
Ender est l’arme ultime, le dernier espoir de l’humanité dans une guerre interstellaire qui l’oppose à un adversaire impitoyable et inconnu.
Ender est un enfant. Et aussi un monstre.
Orson Scott Card a obtenu pour ce roman étonnant et effrayant le prix Hugo et le prix Nebula en 1986. Et, chose plus surprenante encore, il a reçu pour sa suite, La Voix dés morts, en 1987, à nouveau le prix Hugo et le prix Nebula. Aucune oeuvre de toute l’histoire de la science-fiction n’a jamais été ainsi couronnée.

 

Enchantement
d’Orson Scott CARD
Science-Fiction
Chronique
Le point de départ de « Enchantement » évoque furieusement le conte « La belle au bois dormant ». L’argument initial est d’ailleurs le même : une jeune femme est plongée dans un sommeil magique et attend le baiser d’un preux chevalier pour se réveiller, convoler en juste noce et enfanter une descendance, forcément prolifique, avec lui.
Bon, la comparaison s’arrête là car la couche de la princesse se trouve sur un piédestal au milieu d’une fosse gardée par un ours affamé. De surcroît l’action se déroule en Ukraine et aux Etats-Unis, tout en naviguant entre deux époques distantes d’un millénaire entier. Enfin le chevalier est incarné par un jeune étudiant en littérature qui s’est spécialisé dans les contes slaves et pratique un peu l’athlétisme.

Pour échapper aux griffes de l’ours, ce jeune homme qui s’appelle Ivan, délie l’endormie qui répond au prénom de Katerina, de son charme somnifère… mais, ce faisant, il se lie à elle par la promesse d’un mariage. Cette promesse, il doit la tenir pour retrouver sa liberté. Car la belle ne tarde pas à l’emmener avec lui, mille ans dans le passé dans son royaume slave de Taïna. L’ennui c’est que le couple déchante rapidement : Ivan et Katerina ne disposent vraiment pas de la même échelle des valeurs. Il faut dire qu’en mille années, beaucoup de choses changent, voire disparaissent. Ivan accumule donc les erreurs et Katerina le considère de plus en plus avec mépris. Pour un peu, elle lui balancerait bien le soulier de vair, si elle en était chaussée, en travers de la figure. Bref, la formule consacrée ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants a du plomb dans l’aile…

Katerina ne songe désormais plus qu’à se débarrasser de ce promis quelque peu gringalet et irrespectueux des règles médiévales de la bienséance. Quant à L’à peu-près chevalier, il se détourne de la bagatelle et se consacre à l’étude du folklore de l’époque – ça tombe à point, c’est son sujet d’étude – que les réécritures postérieures et les invasions successives n’ont pas encore déformés. Pendant ce temps, la sorcière Baba Yaga, à l’origine de l’ensorcellement de Katerina, fourbit ses sorts afin d’empêcher la consommation d’un mariage qui lui ôterait toute possibilité de régner sur le petit royaume slave oublié de Taïna.

« Enchantement » est un roman agréable à lire et finalement fort drôle. Orson Scott CARD trousse dans un style enlevé une fantasy très distrayante. Le récit abonde en quiproquos croustillants générés par le choc des époques. Sur ce point, la reconstitution du monde slave au XIème siècle montre même un effort de documentation méritoire. Mais il serait malvenu de suggérer que « Enchantement » est un roman historique car le récit use essentiellement des ressorts du conte, tout en les détournant subtilement. Ainsi l’aspect effrayant de la malveillance de la sorcière Baba Yaga est-il totalement gommé au profit de ses relations particulières avec l’Ours qu’elle a ensorcelé, ours dont la divinité ne l’empêche pas de formuler ses avis très cyniquement. Les effets pyrotechniques sont délaissés – ce dont on ne se plaindra pas – au bénéfice d’une magie de nature plus discrète et malicieuse.

En grattant sous le vernis du folklore russe et juif, on perçoit également une réflexion plus profonde sur la mémoire et la survie de la culture donc de l’identité d’une civilisation, à travers cette mémoire. D’une manière plus moralisatrice [et peut-être plus discutable ?], Orson Scott CARD prêche une fois de plus pour le respect des différences et pour un retour vers des valeurs plus communautaires.

Le cycle d’Ender , T8 L’ombre du géant
d’Orson Scott Card
Roman
Mot de l’éditeur
On ne présente plus Orson Scott Card, né en 1951, auteur de la série " Ender " et des " Chroniques d’Alvin le Faiseur ", deux fois prix Hugo. 25 de ses livres sont disponibles à L’Atalante.

"L’ombre du géant" prolonge et conclut la série consacrée à Bean, gamin des rues de Rotterdam devenu le second, l’" ombre " d’Ender à l’École de guerre où l’on entraînait des enfants surdoués pour une guerre interstellaire. Ender a quitté la Terre pour prendre le chemin des étoiles, Bean y est resté.
Du Brésil à Rotterdam, de Damas à Hyderabad, organisé comme une partie d’échecs à l’échelle du monde, L’ombre du géant reprend les conflits laissés en suspens dans Les marionnettes de l’ombre. Bean et Petra désespèrent de retrouver leur progéniture ; le calife Alaï s’évertue à sauver l’Islam de lui-même ; Virlomi, déesse indienne vivante, suit la voie de Gandhi pour sauver son pays ; la Flotte internationale poursuit sa stratégie de sauvegarde de l’humanité ; et Peter Wiggin, l’Hégémon incompris, cherche le chemin d’une humanité mature, délivrée de la guerre. Au bout du compte, à l’instar d’Ender, Bean et Petra ne devront-ils pas eux aussi se tourner vers les étoiles ?

Chroniques d’Alvin le Faiseur , T6 La cité de cristal d’Orson Scott Card
Roman
Mot de l’éditeur
En résumé
L’heure approche de fonder la Cité de Cristal. Dans cette Amérique où la magie fusionne avec l’histoire, Orson S. Card conduit Les Chroniques d’Alvin le Faiseur à l’aube de leur dénouement.
Mot de l’éditeur
Sur l’injonction de sa femme Peggy, c’est à La Nouvelle-Orléans (Nueva Barcelona sous l’occupation espagnole) que se rend Alvin en compagnie de son beau-frère métis Arthur Stuart. Il y découvrira la fièvre jaune, le désespoir et la vindicte, qui l’amèneront à conduire l’exode de milliers de réfugiés : Noirs affranchis, pauvres Français, esclaves libérés des plantations de coton. Il devra pour cela affronter l’épreuve la plus rude et la plus spectaculaire de sa vie, puis se tourner vers son vieil ami le prophète rouge dont la loi régit le pays mystérieux à l’ouest du Mizzippy. L’heure approche de fonder la Cité de Cristal dont la vision le poursuit depuis son enfance. Dans cette Amérique où la magie fusionne avec l’histoire, Orson S. Card conduit Les Chroniques d’Alvin le Faiseur à l’aube de leur dénouement.

Orson Scott Card

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Le jour par jour

1924    23 août   

Ephraim Kishon, écrivain israélien

Ephraïm Kishon Ecrivain et humoriste israélien
[Littérature étrangère]
Né à Budapest le 23 août 1924
Décédé à Suisse le 29 janvier 2005

Biographie

Né Ferenc Hoffmann dans une famille juive bourgeoise et assimilée de Budapest, en août 1924, il étudia la sculpture et la peinture, avant de se lancer dans la satire et le pamphlet. En 1941, alors qu’il achevait ses études à l’Académie du Commerce, les organisations antisémites commencèrent à sévir dans son pays et lors de l’entrée en guerre de la Hongrie, il fut enfermé dans plusieurs camps de concentration.

Il n’y survécut que par miracle : si, dans l’un d’eux, c’est son habileté aux échecs qui lui valut les bonnes grâces du commandant, joueur féru, dans un autre, les Nazis alignaient les prisonniers, et les décimaient littéralement, tuant chaque dixième prisonnier. Il n’eut que la chance de ne pas être le dixième.
Il écrirait plus tard dans son livre Le bouc émissaire : « Ils ont fait une erreur—Ils ont laissé un satiriste en vie. »

Il parvint à s’échapper lors du convoi de transport vers le tristement célèbre camp de Sobibor, en Pologne. Rentré à Budapest, il y retrouva sa famille qui se cachait, puis, grâce à l’aide d’un voisin courageux, un Juste parmi les Nations, qui lui fournit de fausses pièces d’identité, il put vivre jusqu’à la fin de la guerre sous l’identité de "Stanko Andras", ouvrier slovaque.

Après la Shoah, il changea son patronyme, Hoffman, en Kishont, et réussit à gagner sa vie honorablement, sous le régime stalinien, en tant que journaliste d’une publication satirique en faveur du pouvoir communiste. Mais conscient du mensonge dans lequel il vivait, il saisit la première occasion qui se présentait, lors d’une foire à Prague, pour quitter la Hongrie avec son épouse et émigrer en Israël. Il fut inscrit à l’office de l’immigration sous le nom d’Ephraïm Kishon.

Le couple s’installa alors dans le Kibboutz Kfar Hahoresh, où Ephraïm Kishon acquit ses premiers rudiments de la langue hébraïque avec une rapidité remarquable.
Il obtint quelques temps plus tard un poste dans la rédaction d’un journal hongrois local, où il était chargé de l’édition nocturne, et dans le quotidien Omer, rédigé en langue hébraïque facile (Ivrit Kala), après deux ans de séjour dans le pays.
En 1951, il fut admis à l’Oulpan Etsion à Jérusalem où il consacra une année entière à l’étude approfondie de l’hébreu.

Il entama alors une carrière d’humoriste et offrit ses services aux grandes publications israéliennes, mais ses propositions furent rejetées, jusqu’au jour où le journal Davar publia l’un de ses articles. La même année, Kishon publiait son premier ouvrage, où il décrivait avec humour les premiers pas d’un nouvel immigrant.

On lui confia en 1952 la colonne Had Gadya dans le quotidien Ma’ariv. Celle-ci, principalement dévolue à la satire socio-politique, ne dédaignait pas l’humour pur et simple, et devint rapidement la colonne la plus populaire du pays. Son inventivité extraordinaire, tant au niveau du langage que de la création de personnages, faisait fureur, et fut utilisée ensuite dans d’innombrables sketches et représentations théâtrales. Ephraïm Kishon anima cette rubrique 30 ans durant.

En 1953, le théâtre Habima mit en scène sa première pièce, Son nom le précède, qui obtint un grand succès : c’est la première fois qu’un écrivain osait critiquer le pouvoir, alors entre les mains du Mapam, parti de gauche.

Par la suite, ses œuvres ont été traduites à l’étranger. On se souvient par exemple des Petites filles de Loth ou des Sacrés fils d’Abraham, parus en français.

Ephraïm Kishon devint rapidement le porte-parole d’Israël à l’étranger, où on le compara à des auteurs renommés, comme Cholem Aleichem, Art Buchwald ou Mark Twain.
Écrivain de formation, il poursuivit ensuite une carrière de scénariste de niveau mondial et réalisa cinq films en Israël.
Ses œuvres ont obtenu de nombreux prix internationaux, notamment à Hollywood.

Le Prix Israël a été décerné à Ephraïm Kishon en 2002 pour l’ensemble de son œuvre réalisée pendant toute sa carrière d’écrivain et de satiriste. Le jury qui l’a choisi l’a décrit comme étant le plus grand humoriste de l’État, qui avait réussi à réaliser une œuvre culturelle et à présenter toutes les facettes de la société israélienne.

Il était encore souligné qu’Ephraïm Kishon avait su exprimer le renouveau du peuple juif, après l’horreur de la Shoah qui avait déchiré l’Europe. Il avait su exposer les problèmes que le jeune État devait affronter et avait eu le génie de présenter les difficultés quotidiennes de l’Israélien moyen.

Les anecdotes sur Ephraïm Kishon

Reconnu !
Ephraïm Kishon a obtenu le Prix d’Israël, la récompense la plus prestigieuse de son pays en 2003. ‘Ephraïm Kishon est une lumière échappée du feu de l’Holocauste qui a porté très haut la satire dans le monde’, a affirmé le jury de ce prix pour justifier son choix.

Israël, c’est le seul …

C’est le seul pays au monde où le gouvernement finance l’éducation sectaire et ou l’éducation gratuite est financée par les parents des élèves.

C’est le seul pays où les chômeurs font la grève

C’est le seul pays qui a deux ministres du trésor et pas un rond.

C’est le seul pays où chaque mère a le numéro du portable du sergent de son fils à l’armée.

C’est le seul pays qui importe de l’eau par bateaux citernes au moment où le pays est inondé par les pluies.

C’est le seul pays où la chanson la plus populaire dans les clubs de musique transe s’intitule : « fleurs dans les fusils et filles dans les chars ».

C’est le seul pays qui a envoyé un satellite de communications dans l’espace, où on ne vous laisse jamais terminer une phrase.

C’est le seul pays où sont déjà tombées des fusées d’Irak, des katyouchas du Liban, des Qassam de Gaza et où un appartement de trois pièces coûte plus cher qu’à Paris.

C’est le seul pays où on demande une star porno : qu’en pense ta mère ?

C’est le seul pays où on va dîner chez ses parents le vendredi et on occupe le même siège qu’à l’âge de 5 ans.

C’est le seul pays où un repas Israélien est composé d’une salade arabe, d’une pita irakienne, d’un kebab roumain et d’une crème bavaroise.

C’est le seul pays où le gars avec la chemise pleine de taches est le ministre et le gars au complet gris, son chauffeur.

C’est le seul pays où des musulmans vendent des articles religieux aux chrétiens en échange de billets portant l’effigie du Rambam.

C’est le seul pays où les jeunes quittent la maison à l’âge de 18 ans pour revenir y habiter à l’âge de 24.

C’est le seul pays où aucune femme n’est pas en bons termes avec sa mère mais où elles se parlent néanmoins trois fois par jour.

C’est le seul pays où on vous montre des photos des enfants alors qu’ils sont présents.

C’est le seul pays où on peut connaître la situation sécuritaire selon les chansons à la radio.

C’est le seul pays où les riches sont à gauche, les pauvres sont à droite et la classe moyenne paie tout.

C’est le seul pays où on peut obtenir en dix minutes un logiciel pour lancer des vaisseaux spatiaux et où il faut attendre une semaine pour réparer la machine à laver.

C’est le seul pays où la première fois qu’on sort avec une fille, on lui demande dans quelle unité elle a servi a l’armée, et on découvre qu’elle était parachutiste alors que vous n’aviez été que caporal à la cantine militaire.

C’est le seul pays où le décalage entre le jour le plus heureux et le jour le plus triste n’est souvent que soixante secondes.

C’est le seul pays où lorsque vous détestez les hommes politiques, les fonctionnaires, les taxes, la qualité du service et la situation en général, vous prouvez que vous aimez le pays et qu’en fin de compte c’est le seul pays dans lequel vous pouvez vivre.

Bibliographie

Là où est ta blessure, là est ta rédemption
d’Ephraïm Kishon
Mot de l’éditeur
Cet ouvrage synthétise les apports de la psychologie, la psychanalyse, les approches humanistes avec la foi chrétienne pour présenter l’ennéagramme. Cette méthode de connaissance de soi et des autres, se répand rapidement dans tous les milieux malgré les oppositions qui y craignent une dérive vers un déterminisme des comportements. L’auteur a choisi une autre voie : plutôt que diaboliser, tirer l’essentiel et discerner. A l’issue de ce parcours, il ne cache pas son admiration pour cet outil de connaissance humaine. Ce qui est exprimé par des mots, les maladies ne sont que des paroles muettes qui cherchent à se dire. Le lecteur apprend à accueillir un visage avec sa géographie, ses rides, ses micro-comportements, ces toutes petites altérations de l’expression, qui en disent plus long que des longues phrases puis à détecter ces mouvements du corps qui expriment les blessures les plus profondes. Connaître la blessure de l’autre est indispensable si on veut collaborer à sa guérison, le connaître tel qu’il ne se connaît pas encore lui-même. Et cela est possible en quelques minutes même si chacun s’évertue à "promener" le thérapeute pour le tenir loin. En fait il n’existe qu’une seule blessure fondamentale qui va prendre différentes formes, soit par la rébellion, soit par l’adaptation, soit par le retrait, et c’est cette forme qu’il nous est possible de connaître en quelques minutes et non le mystère intime de chaque individu. Tout ce que nous pouvons discerner de mauvais dans les comportements humains relève en fait du dépit amoureux, de la déception et du désespoir. Outil de connaissance de soi, l’ennéagramme se révèle être un modèle génial qui module le chant de l’unique blessure en neuf tons principaux. Dynamique, il n’enferme pas mais invite constamment à nous déplacer, à avancer ou à reculer ou encore à nous élever. L’auteur prend des précautions pour que nul ne fasse un usage abusif de l’ennéagramme car cet outil est avant tout au service de la bienveillance et de la tolérance : "Qu’est-ce-que l’Homme?"

Des mouches de jour, elles vivent plus longtemps
d’Ephraïm Kishon
Résumé du livre
« Après 40 ans le Satiriker le plus réussi de notre temps présente seulement le volume avec des confessions humorvollen à des Kishon-Büchern et à 33 millions de copies vendues en Allemagne. Sur 272 ligues de deux de traitement côtés, doit être lu là, ce que l’auteur inventé dans les choses crus et lettres, élaborer et corriger, ajourner et marquer, a éprouvé et écrit. Des expériences de 40 ans sont ouvertes ici, en lesquels « une mouche de jour une, telle que je suis une » (Kishon sur soi-même) dans chaque place ai volé, a tourné ses négociations, pour s’asseoir sur les nez et elles trop kitzeln.

Le Kishon nous trahit les tours haarsträubenden qui doivent être appliqués, afin qu’un livre trouve la manière de lecteur, tels que des prix littéraires sont prêtés plus comme fortuit, comme on doit se servir des critiques, comme le Theobald vient l’éponge d’océan à des honneurs littéraires, comme on écrit en effet une histoire humoristique et qui le rôle crucial des lecteurs dans la vie d’un auteur joue.

« Bref », le Kishon, admet « la vie une mouche de jour une ergrauten est un seul Amoklauf, et le Drumherum heillosen entier mes confessions traitent précisément. Car le Drumherum a également quelque chose de beau, à savoir l’affection dont un Schreiberling peut se satisfaire. Pas absolument de la part de l’établissement littéraire, toutefois de la part des larges lecteurs. » Et celui-ci peut se réjouir les Kishon-Bücher les plus personnels et les plus amusants, dans lesquelles l’auteur de la tâche primaire qui a un Satiriker, à savoir de aussi dire d’un la vérité sur lui-même suit. «

 

Ephraïm Kishon

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Le jour par jour

1624   22 août   

Jean Regnault de Segrais, écrivain français

Jean Regnault de Segrais,
né à Caen le 22 août 1624
et mort à Caen le 25 mars 1701(L’Académie française mentionne le 15 mars, la Bibliothèque nationale de France le 25 mars) ,
est un poète, homme de lettres et traducteur français.
.

Sa vie et son œuvre

Il fait de brillantes études au collège des jésuites de Caen, où il compose entre l’âge de dix-huit et vingt ans plusieurs œuvres poétiques, un roman et une tragédie. En 1647, entraîné par le fils de la gouvernante de la duchesse de Montpensier, il se rend à Paris et demeure pendant vingt-quatre ans au service de « la grande Mademoiselle ». Il accompagne la duchesse à Saint-Fargeau, en 1652 et fréquente l’académie de Habert de Montmor. Oubliant l’état ecclésiastique auquel on le destinait, il traduit Virgile et compose des poèmes pastoraux. En 1656, il publie un recueil de nouvelles fait d’historiettes et de portraits de femmes de la cour, Les Nouvelles françaises, dont l’atmosphère galante évoque celle des fêtes données chez la duchesse au temps de la Fronde.

Ami de Paul Scarron, Gilles Ménage, Pierre-Daniel Huet, Paul Pellisson et Nicolas Boileau, Segrais est élu membre de l’Académie française en 1662. En 1670, s’étant brouillé avec la duchesse pour avoir désapprouvé son mariage avec Lauzun, il entre chez Madame de La Fayette. Devenu son secrétaire, il participe avec La Rochefoucauld à la composition de ses premiers romans et publie sous son nom les premières éditions de La Princesse de Montpensier, Zaïde et La Princesse de Clèves.

Après trente ans passés dans la capitale, lassé du tourbillon de la cour, Segrais retourne dans sa contrée natale, qu’il appelle « ma célèbre patrie, et ma première amour » et dont il a gardé l’accent toute sa vie. Déjà membre de l’Académie de Caen, dont il était devenu président à la mort de son fondateur Jacques Moisant de Brieux en 1674, il y épouse une de ses cousines, une riche héritière, en 1678. Le couple fait salon et reçoit la bonne société. Entre 1683 et 1686, il est premier échevin de Caen. Invité par Madame de Maintenon à revenir à Paris pour devenir précepteur du duc de Maine, Segrais, prétextant une surdité naissante, rechigne à quitter sa retraite, car « l’expérience, disait-il gaiement, lui avait appris qu’il faut à la cour de bons yeux et de bonnes oreilles. » Lorsqu’il s’éteint à l’âge de 77 ans, il laisse derrière lui une réputation de bonté et de candeur. Lui-même se jugeait « quoique Normand, sans fraude et sans finesses. » Son compatriote Moisant de Brieux célèbre ainsi ses qualités :

Segrais, l’ami franc et loyal,
Cœur formé de ce pur métal
Qu’on vit reluire au premier âge.
Voltaire, tout en corrigeant un mot de la duchesse de Montpensier, renchérit : « Mademoiselle l’appelle une manière de bel esprit : mais c’était en effet un très bel esprit et un véritable homme de lettres.»

Sans doute la réputation de Segrais en tant que poète bucolique doit-elle beaucoup à ce vers de Boileau : « Que Segrais, dans l’églogue, en charme les forêts… » Mais ses poèmes allaient bientôt tomber dans l’oubli. Laharpe explique ainsi ce désaveu de la postérité : « Il faut songer qu’il écrivait avant les maîtres de la poësie française, et n’ayant encore d’autres modèles que Malherbe et Racan ; c’est ce qui rend plus excusables les fautes de sa versification, souvent lâche et traînante, et qui n’est pas même exempte de ces constructions forcées, de ces latinismes, enfin de ces restes de la rouille gothique qui ne disparut entièrement que dans les vers de Boileau.»

Œuvres

Poésie

Ode à M. Chapelain, sur les victoires de Mgr le duc d’Anguien (1647)
Athys, poème pastoral dédié à S. A. R. Mademoiselle (1653)
Diverses poésies de Jean Regnault de Segrais (1658)
Poésies de M. de Segrais, 3e édition plus ample, plus correcte et en meilleur ordre que les précédentes (1660)
Églogues de M. de Segrais, avec les passages imités des poètes latins. L’Athys, poème pastoral ; le Portrait de Mademoiselle (1733)

Romans et nouvelles

Bérénice (4 volumes, 1648-51)
Les Nouvelles françaises, ou les Divertissemens de la princesse Aurélie (2 volumes, 1656-57).
Réédition : Société des textes français modernes, Paris, 1990.

Théâtre

L’Amour guéri par le Temps, tragédie par M. de Segrais (s.d.)

Traductions

Traduction de l’Énéide de Virgile, par Mr de Segrais (2 volumes, 1668-81)
Les Géorgiques de Virgile, traduites en vers françois, ouvrage posthume de M. de Segrais (1711)

Mélanges

Segraisiana, ou melange d’histoire et de litterature ; recueilli des entretiens de M. de Segrais, de l’Academie françoise. II. Les Églogues, l’Amour détruit par le temps, tragedie pastorale. III. La Relation de l’isle imaginaire, ou l’histoire de la princesse de Paphlagonie (1721).

Traduction

VIRGILE, L’Enéide, Chant I,
Traduction de Jean Regnault de SEGRAIS (1624-1701).
     Dans la fleur de mes ans, à l’ombrage des Hêtres,
Je faisais résonner mes Airs doux et champêtres ;
Depuis abandonnant les Monts et les Forêts,
J’enseignai l’art fécond de la blonde Cérès :
Au Laboureur avare œuvre utile et plaisante ;
Mais j’entonne aujourd’hui la Trompette éclatante.

     Je chante les combats, et passe aux champs de Mars
En faveur du Troyen, qui par mille hasards,
Généreux fugitif, aborda l’Ausonie,
Et vainqueur éleva les murs de Lavinie.
Longtemps il éprouva le céleste courroux,
Longtemps dans les transports d’un souvenir jaloux,
Junon le poursuivit, et sur mer, et sur terre,
Et lui fit ressentir tous les maux de la guerre ;
Avant qu’il pût fonder sa Ville aux champs Latins,
Et de ses Dieux errants y fixer les Destins,
Par qui la gloire d’Albe est encore vivante,
Le Tibre redoutable, et Rome triomphante.
     Muse, raconte-moi quel crime, ou quel malheur
De la Reine des Cieux irrita la douleur,
Mit en butte aux fureurs d’une haine implacable
Un Monarque pieux, un héros équitable ;
Ces aveugles courroux, ces transports furieux
Peuvent-ils, jusqu’au Ciel, troubler l’âme des Dieux ?
     Vers les sables brûlants de l’Africain rivage,
Furent les murs hautains de l’antique Carthage,
Colonie autrefois des riches Tyriens,
Ville ardente à la guerre, et florissante en biens.
Junon lui confiait, et son char, et ses armes ;
L’agréable Samos pour elle eut moins de charmes ;
Et son plus doux espoir, si le sort l’eût permis,
Fut de voir tout le monde à Carthage soumis.
Mais apprenant qu’un jour elle serait la proie
Du peuple qui naîtrait des ruines de Troie,
Que l’honneur de la guerre et le pouvoir sans fin
Etait déjà promis à l’Empire Latin,
Tel était des Parques l’arrêt irrévocable !
Elle sent dans son cœur un dépit indomptable,
Et ne peut oublier combien en mille assauts
Sa faveur pour les Grecs lui coûta de travaux.
Le rapt de Ganymède irrite son courage ;
Sa beauté méprisée, impardonnable outrage,
De l’amoureux Pâris le fatal jugement,
Contre tous les Troyens l’anime incessamment ;
Et livre à sa colère en vengeances fertile
Ces restes malheureux de la fureur d’Achille,
Repoussés en tous lieux par le sort conjuré
Des rivages fleuris du Tibre désiré.
Depuis longtemps errait la flotte vagabonde,
Le rebut de la Terre, et le jouet de l’Onde ;
Et sur la vaste horreur des gouffres écumeux,
Ils ne semblaient chercher qu’un naufrage fameux ;
Tant était l’entreprise, et pénible, et hautaine
De fonder la grandeur de la Race Romaine.
     Non loin de la Sicile, et par un temps serein,
Leurs Nefs fendaient les flots de leur tranchant airain,
Et la voile étendue, et le vent favorable
Remplissaient tous les cœurs d’un espoir agréable :
Junon qui conservait un dépit plein d’aigreur,
Sentit, à cet objet, rallumer sa fureur :
     « Ont-ils vaincu, dit-elle, et ma haine impuissante
Verra-t-elle aborder leur flotte triomphante ?
Je ne puis l’écarter du rivage Latin,
Et partout je me trouve esclave du destin.
Qui ne sait que Pallas, pour mettre Ajax en poudre,
Sur la flotte des Grecs a pu lancer la foudre,
A pu la dissiper, l’abîmer sous les eaux ?
Pour le crime d’un seul, perdre mille vaisseaux ?
Tout percé, tout brûlant, sa colère implacable
Dans un noir tourbillon enlève le coupable,
Et le précipitant par d’inhumains efforts,
Aux pointes d’un rocher elle brisa son corps.
Et moi, Reine des Dieux du Ciel et de la Terre,
Moi, la femme et la sœur du Maître du Tonnerre,
Je combats contre un Peuple en tous lieux étranger,
Et depuis tant d’Hivers je ne puis m’en venger.
Qui me reconnaîtra désormais pour Déesse,
Et qui craindra Junon après tant de faiblesse ? »
     Roulant ces soins divers dans son coeur irrité,
Son char passe les airs d’un vol précipité,
Et vient aux creux rochers des Eoliques plages,
Le nébuleux séjour des vents et des orages.
Là, le Dieu qui régit ces sujets mutinés
Les dompte, les enferme, et les tient enchaînés.
Ils grondent sous ces monts, ils se livrent la guerre ;
Pour se faire un passage, ils ébranlent la Terre ;
Ils tremblent toutefois à l’aspect de ce Roi,
Qui réprime leur fougue, et leur donne la Loi.
Sans cet ordre éternel de l’Arbitre du Monde,
Leur rage confondrait le Ciel, la Terre et l’Onde ;
Cruels Tyrans de l’air et du moite élément,
Ils n’aiment que le trouble et le dérèglement ;
Mais ils ont pour prison ces Grottes ténébreuses ;
Resserrés sous ces Monts et dans ces roches creuses,
Le puissant Jupiter leur donne un Souverain,
Qui leur lâche, à son ordre, ou leur retient le frein.
Ce Souverain Monarque est le superbe Eole ;
C’est à lui que Junon adresse sa parole :
     « Toi qui reçus des vents le Sceptre impérieux
Par le Roi des Mortels et le Père des Dieux,
Les Troyens fugitifs, ces objets de ma haine,
Avec leurs Dieux vaincus fendent la mer Tyrrhène,
Bravent insolemment tous mes divins efforts,
Et transportent Pergame aux Italiques bords.
Abandonne à tes vents les campagnes amères ;
Poursuis, disperse, abîme, et Nochers et galères ;
Ainsi je te promets le sort le plus heureux
Dont se puisse flatter un espoir amoureux :
De mes Nymphes l’honneur, l’aimable Deiopée
D’un trait doux de ses yeux a ton âme frappée ;
Tu l’aimes, elle est belle, et j’en puis disposer ;
Pense, pour me servir, que tu dois tout oser. »
     Eole lui répond : « Commandez, grande Reine,
C’est à moi d’obéir, et j’obéis sans peine ;
Je règne sur les vents, je dompte leur courroux ;
Mais tout ce grand pouvoir ne me vient que de vous :
Par vous, j’ai toujours eu Jupiter favorable ;
Par vous, il me seoir à sa céleste table. »
     Il dit, et d’un grand coup il renverse le mont ;
Echo dans les vallons, à ce grand coup répond.
Des prompts Enfants de l’air la mutine cohorte
Du moindre jour ouvert, s’ouvre une large porte ;
Ils sortent tous en foule, et ce gros bataillon
Elève dans sa course un épais tourbillon.
La Terre en est émue, ils passent sur les ondes ;
La mer en voit ouvrir ses entrailles profondes ;
Eure le redoutable, Aquilon le neigeux,
Et l’humide Africain, plus que tous orageux,
Changent l’azur poli des liquides campagnes
En rochers écumeux, en bruyantes montagnes.
Des cordages, des cris, soudain siffle le bruit ;
Sous un nuage épais, le Ciel, le jour s’enfuit ;
La nuit vient, l’éclair brille, et le tonnerre gronde :
Tout présente la mort aux yeux de tout le monde.
Enée en est surpris, il lève au Ciel les yeux,
Et déplore, en ces mots, son sort injurieux :
     « O trois ou quatre fois mort bienheureuse et belle,
La mort de ces Troyens qui d’une ardeur fidèle
Combattant près des murs de leur triste Cité,
Aux yeux de leurs parents perdirent la clarté !
Pourquoi fils de Tydée, aux combats indomptable,
N’ai-je fini par toi mon destin lamentable ?
Que par les traits d’Achille avec le grand Hector,
Qu’ainsi que Sarpédon, ou mille autres encor,
N’ai-je achevé ma course aux beaux champs de Phrygie,
Du sang même des Dieux, par tant de fois rougie ;
Où le fier Simoïs roule encore les os,
Les casques, les pavois de tant de grands Héros. »
     A ces mots l’Aquilon s’entonne dans les voiles ;
Pousse avecque fureur les flots jusqu’aux étoiles ;
La rame rompt aux mains du Nocher rebuté,
La nef tourne la proue, et prête le côté,
Et le Pilote cède à la vague aboyante
Qu’il voit, comme un grand mont, sur sa tête pendante.
Elevés sur ces monts, les uns touchent aux Cieux,
Les autres abîmés par un choc furieux,
Entre les flots béants aperçoivent la terre :
Jusqu’au sable profond les Vents livrent la guerre.
Borée attaquant seul trois des plus grands Vaisseaux
Les pousse sur un Roc caché dessous les eaux ;
Trois autres sur un banc, par l’Eure impitoyable,
Demeurent enfoncés sous des monceaux de sable.
     Oronte, Chef hardi des adroits Lyciens,
Du plus haut de sa poupe encourageait les siens ;
D’un front audacieux il brave la tempête ;
Le flot qui s’en émut, s’élève sur sa tête,
Crève, et tombe sur lui, montre un abîme ouvert ;
La nef tourne trois fois, disparaît, et se perd.      Peu du gouffre profond reviennent à la nage,
Sur les flots sont épars les débris du naufrage :
Le puissant Galion du valeureux Abas,
Celui qui porte Achate intrépide aux combats,
La Nef d’Ilionée, et la Nef qui commande
Aléthès le plus vieux de la Troyenne bande,
De l’orage battus, deçà, delà jetés,
Et tourmentés du choc, s’ouvrent de tous côtés.
     Neptune cependant, au bruit que font les Ondes,
S’éveille et se courrouce en ses Grottes profondes ;
Sent son vaste Palais ému de toutes parts,
Paraît, et sur les flots attache ses regards.
De l’invincible Enée il voit toute la Flotte
Abandonnée aux Vents par le triste Pilote ;
Il voit l’Orage affreux, et par tant de fureur
Il reconnaît la haine et l’esprit de sa Sœur.
« Approche, Eure, dit-il, et toi, mutin Zéphire ;
Et par ce fier propos leur exprime son ire.
Qui vous rend si hardis, Sujets séditieux ?
Etes-vous Souverains de la Terre et des Cieux,
Pour venir sans mon ordre exciter un orage,
Et jusques sur mon Trône exercer votre rage ?
Insolents… (mais il faut mes Ondes aplanir)
Absous pour cette fois, tremblez pour l’avenir :
Fuyez vers votre Maître, et lui faites entendre
Qu’à l’Empire des Mers il cesse de prétendre,
Que par le choix du sort le Trident n’est qu’à moi ;
C’est parmi vos Rochers qu’il peut faire le Roi.
Là peut tenir sa Cour le Dieu qui vous gouverne,
Et sur ses Vents enclos régner dans sa Caverne. »
     A peine il a parlé qu’il rend le calme aux Flots,
Le jour à l’Univers, l’espoir aux Matelots.
Avecque les Tritons, les Nymphes secourables
Dégagent les Vaisseaux des Rochers et des Sables ;
Mêmes où le danger est le plus évident,
Neptune les secourt d’un coup de son Trident ;
Et volant sur son Char par les humides plaines,
A ses Chevaux marins abandonne les rênes.
Tel devient d’un grand Peuple un soudain mouvement.
Ce Monstre forcené dans son emportement
De grès, et de tisons forme un épais nuage ;
Croit tout juste, ose tout, de tout arme sa rage,
Mais si quelque homme grave à l’air impérieux
S’offre, et mêle sa voix aux cris séditieux,
On s’arrête, on l’écoute, et sa bouche éloquente
Adoucit la fureur de la Foule insolente.
     De la mer irritée ainsi cessa le bruit ;
Devant Neptune ainsi la Tempête s’enfuit.
Les Troyens vont cherchant les plus proches Rivages,
Et se trouvent portés vers les Libyques plages.
Au lieu le plus désert de ce sauvage Bord,
Sous sa pointe avancée, une Ile fait un Port,
Cache un Golfe paisible, où l’inconstant Nérée
N’a jamais troublé l’Onde en tout temps azurée.
Deux Montagnes autour s’élèvent jusqu’aux Cieux,
Et font taire des Flots les abois furieux ;
Une haute Forêt de ses feuillages sombres,
Couronne leur sommet, et porte au loin ses Ombres ;
La Nature au dessous forme un Antre plaisant,
Où d’une eau claire et vive est le cristal luisant,
Qui sur un gravier d’or excite un doux murmure,
Alentour d’un long banc de mousse et de verdure,
Où laissant quelquefois leur humide séjour,
Les Nymphes et Thétis viennent faire leur Cour.
     Jamais l’ancre en ce Bord n’enfonça dans les sables ;
Jamais Nef n’eut besoin d’y déployer ses câbles.
Avecque sept Vaisseaux de sa Flotte restés,
Le grand Enée aborde en ces lieux écartés.
Aussitôt les Nochers s’élancent sur la Plage,
Les soldats fatigués s’étendent sous l’Ombrage,
Goûtent l’air de la Terre, et dans le doux repos,
L’aise d’être échappés à la fureur des Flots.
     Les uns d’un dur caillou font voler la flammèche,
Vive la font tomber sur une feuille sèche,
Lui donnant nourriture, et toujours l’augmentant,
Allument sur la rive un brasier éclatant.
D’autres des blés mouillés réparent le dommage,
Les tirent des vaisseaux, les sèchent au rivage,
Sous le pesant rocher pulvérisent le grain,
Rendent les fours ardents, et préparent le pain.
     Leur grand Roi cependant au plus haut de la dune,
Attache ses regards sur le champ de Neptune,
Etend au loin sa vue, et cherche sur les eaux
Son peuple dispersé dans ses autres vaisseaux.
La nef du fort Capys, la galère d’Anthée,
Ou celle de Cayque à la poupe argentée.
Sur la face des mers, rien ne s’offre à ses yeux :
Il voit trois Cerfs errants dans ces sauvages lieux ;
Une harde nombreuse apparaît à leur suite,
Les reconnaît pour Chefs, marche sous leur conduite ;
Avec eux va paissant par les sombres vallons,
Ou bondit après eux sur la croupe des monts.
Enée à cet objet se retourne, et se hâte,
Prend l’arc et le carquois de son fidèle Achate,
Fait tomber les trois Cerfs sous l’effort de ses traits,
Poursuit le reste épars dans le bocage épais ;
Et contre ces grands corps à la superbe tête,
Ne cesse de ses dards la soudaine tempête,
Que sept ne tombent morts, que par un sort fatal
Il n’en rende le nombre à ses vaisseaux égal.
Il rejoint les Troyens campés sur le rivage,
Leur étale sa proie, entre tous la partage
Avec le vin fumeux, qu’en se quittant au port,
Aceste ce bon Roi fit porter dans son bord.
Il les anime tous, les plaint, et les console ;
Puis d’un ton élevé, prend ainsi la parole :
     « Fidèles Compagnons de mon triste destin,
De tant et tant de maux nous trouverons la fin.
Par tant de régions, sur tant de mers diverses,
Nous avons enduré de plus rudes traverses :
Nous avons affronté Scylle aux chiens dévorants.
Nous avons entendu ses rochers murmurants,
Des Cyclopes cruels vu les affreux visages,
Et navigué leur mer si féconde en orages.
Bannissez la terreur, Troyens, rassurez-vous ;
Ce souvenir amer un jour nous sera doux.
Aux beaux champs, où seront nos misères bornées,
Renaîtront d’Ilion les douces destinées.
Amis, réservons-nous pour un si grand espoir,
La promesse des Dieux nous permet de l’avoir. »
     Ayant fini ces mots, il veut que l’allégresse
De son auguste front écarte la tristesse ;
Qu’un doux souris aux siens promette un sort meilleur ;
Mais son cœur au-dedans est pressé de douleur.
Avide de la proie est la Troupe affamée,
Ils dépouillent les Cerfs sous la verte ramée ;
Des broches par morceaux, les percent tout tremblants ;
Plongent les rouges chairs dans les airains bouillants ;
Entretiennent autour la flamme pétillante,
Puis dévorent leur chasse encor toute sanglante ;
Se remplissent de vin, et sur l’herbe étendus
Déplorent à l’envi leurs Compagnons perdus ;
Ou tenant leur salut hors de toute apparence,
Ou conservant pour eux une faible espérance.
Leur grand Chef entre tous, d’Oronte plaint la mort,
Plaint Amyque, et Gyas, incertain de leur sort ;
Une vive douleur l’agite te le tourmente
Pour le vaillant Lycus, pour le brave Cloante.
Tels étaient leurs pensers ; quand du plus haut des Cieux,
Jupiter jette l’œil sur ces terrestres lieux ;
Parcourt les nations, les mers et les rivages,
Puis fixe ses regards sur les Libyques plages.
Comme il roule en son cœur cet important souci,
Vénus, les yeux en pleurs, l’aborde et parle ainsi :
     « Arbitre souverain du Ciel et de la Terre,
Dieu, le plus grand des Dieux, et maître du tonnerre,
Quels forfaits ont commis Enée et ses Troyens
Que dans le doux espoir des bords Ausoniens,
Après tant de périls sur la terre et sur l’onde,
Ils se trouvent encor bannis de tout le monde ?
Pour essuyer mes pleurs, cent fois tu m’as promis
Que Rome se verrait tous les peuples soumis ;
Qu’à ses Chefs valeureux issus du sang de Troie,
Le Destin donnerait tout l’Univers en proie,
Immuable en tes Lois, qui te change aujourd’hui ?
Jadis ce doux penser consolait mon ennui,
Quand je vis tomber Troie, et crus dans sa ruine
D’un Règne plus puissant voir l’illustre origine ;
Même sort cependant la poursuit en tous lieux,
Quand finiront ces maux, grand Monarque des Dieux ?
Anténor qui des Grecs échappa la furie,
Parvint aux derniers bords de la mer d’Illyrie,
Vit des Liburniens le Royaume écarté,
La source du Timave, et son cours argenté ;
Où la mer s’avançant par neuf boucles fameuses,
Pousse avec tant de bruit ses ondes écumeuses.
Il y fonde Padoue, en paix y tient sa Cour,
Et voit son peuple heureux dans ce plaisant séjour.
Nous que tu reconnais pour ta race immortelle,
Nous, qu’admet dans les Cieux ton amour paternelle,
Par l’ire de Junon, vagabonds sur les eaux,
Voyons loin d’Italie emporter nos vaisseaux :
D’une vertu si rare, est-ce la récompense,
Et des sceptres promis l’infaillible assurance ? »
     Le Père tout-puissant des Hommes et des Dieux
Sourit à la Déesse, et se montre à ses yeux
Avec ce front serein qui chasse les nuages,
Qui de son Trône auguste écarte les orages ;
Il lui donne un baiser, et lui répond ainsi :
     « Déesse de Cythère, apaise ton souci ;
Le sort ne peut changer : dans l’illustre Ausonie
Ton fils élèvera les murs de Lavinie ;
Bientôt tu le verras de ces augustes lieux
Revêtu de splendeur, s’élever dans les Cieux.
Là (car pour soulager une amitié si tendre,
Je veux bien du destin les grands secrets t’apprendre)
Il sera le vainqueur de cent peuples vainqueurs ;
De cette gent farouche adoucira les mœurs
Avant que trois moissons jaunissent les campagnes,
Avant que trois Hivers blanchissent les montagnes.
Ascagne son espoir, et son sang généreux,
Qui d’Iule aujourd’hui porte le nom heureux,
Laissera Lavinie encore en sa naissance,
Et sur Albe la Longue étendra sa puissance,
Pendant que trente fois le bel astre du jour,
Par son oblique route accomplira son tour.
Le sang du grand Hector au gré des destinées,
Dans Albe ayant régné par trois fois cent années,
La Vestale féconde engendrera de Mars
Les gémeaux premiers Chefs d’un peuple aux champs épars.
Nourrisson d’une louve, et fils de la Vestale,
Romule fondera la ville Martiale,
Nommera de son nom ce peuple belliqueux,
Et ce peuple partout rendra son nom fameux.
Sa grandeur par les mers ne sera point bornée ;
Les ans ne verront point sa gloire terminée.
Celle à qui ces Romains ont causé tant d’ennui,
Qui ciel, et terre, et mer bouleverse aujourd’hui,
Junon changeant sa haine en malheurs si féconde
Les verra sans regret maîtres de tout le monde.
Tel fut, tel est mon ordre ; et le beau jour luira
Que la superbe Argos à son tour gémira.
César, sang des Troyens, plus renommé qu’Hercule,
Ce Jules descendu de ton aimable Jule,
Ce grand César naîtra, dont le nom glorieux
Doit remplir l’Univers, et voler jusqu’aux cieux ;
Vainqueur de l’Orient, et partout indomptable,
Un jour tu le verras à ma divine table
Boire le doux nectar avec les Immortels,
Et comme eux, des humains recevoir des autels.
Alors la sainte Foi gouvernera la terre,
Clora de cent verrous les portes de la guerre ;
Et la Fureur impie enchaînée au-dedans,
En vain rongeant ses fers de ses cruelles dents,
Et par ses cris affreux rappelant le carnage,
Au fond d’un noir cachot écumera de rage. »      A ces mots, du plus haut de l’Olympe étoilé,
Il dépêche ici bas son Messager ailé
De crainte que Didon, du destin incertaine,
N’éloigne les Troyens de la Terre Africaine.
Mercure prend son vol, son vol prompt et léger ;
Il fend les airs, et vient en ce bord étranger,
S’acquitte de son ordre, et bientôt dans Carthage
Adoucit par son art l’âme la plus sauvage ;
Et la Reine sur tous prend pour ces malheureux
Les nobles sentiments d’un esprit généreux.
     Mais le pieux Enée en cette solitude
Roule dans son esprit sa triste inquiétude :
A peine il aperçoit les premiers traits du jour
Qu’il veut savoir quel est ce barbare séjour,
Voir s’il est habité ; car au long de la plage,
Tout ce qu’il découvre est inculte et sauvage.
Prenant donc en sa main deux dards au large fer,
Il laisse ses vaisseaux au bord de cette mer,
A l’abri des vieux Pins de la sombre montagne ;
Entre dans la forêt, Achate l’accompagne,
Quand vénus déguisant ses célestes appas,
Au milieu de ces bois s’offre devant ses pas.
Telle une jeune Vierge est dans Lacédémone,
Telle est aux champs de Thrace une belle Amazone,
Qui pressant du talon un coursier écumeux,
Passe en légèreté l’Hèbre au cours si fameux,
Sur les lys de son sein on voit ses tresses blondes
Au gré des doux Zéphyrs flotter en grosses ondes ;
Chasseresse, elle avait le brodequin chaussé,
Le carquois sur le dos, et le bras retroussé.
« N’avez-vous point, dit-elle, autour de ces montagnes
Rencontré par hasard une de mes Compagnes,
Courant l’arc en main, et pressant de la voix
Un Sanglier qui fuit au travers de ces bois ? »
Ainsi parle au Héros la Reine de Cythère ;
Ainsi répond Enée à sa divine mère :
Nous ignorons quel est l’objet d’un soin si doux,
Mais qu’il doit être beau, s’il l’est autant que vous !
Objet, que je ne sais comment nommer encore,
Et qui déjà pourtant dans mon âme j’adore ;
Car sans doute à vous voir avecque tant d’appas,
Les mortelles beautés ne vous égalent pas.
Nymphe donc, ou Déesse, ou la chaste Diane,
Ne vous offensez point des regards d’un profane,
Et daignez par pitié de tant d’adversités
Nous apprendre en quel lieu le sort nous a jetés.
Réduits par la tempête en l’état où nous sommes,
Nous errons sans connaître, et les lieux, et les hommes.
Je veux à l’avenir au pied de vos autels,
Vous rendre les devoirs qu’on rend aux Immortels. »
     La Déesse répond : « De cet honneur insigne,
Généreux étranger, je me confesse indigne.
Mon habit te surprend ; mais c’est ainsi qu’à Tyr
Les filles de mon âge aiment à se vêtir.
Ici sont les confins du Punique rivage ;
Didon fuyant son frère y règne dans Carthage ;
Et contre un peuple ardent au dur métier de Mars,
Relève d’Agénor les antiques remparts.
Trop longue et trop mêlée est son histoire entière ;
Je t’en veux seulement éclaircir la matière.
     Sichée, après le Roi, le plus puissant de tous,
Brave mille rivaux, et devint son époux ;
L’amour qu’il lui porta fut tendre, fut extrême,
Et presque enfant encore, elle l’aima de même.
Pygmalion son frère, indigne de son sang,
Du Roi mort occupa, mais soutint mal le rang.
Impie, avare, et lâche, ô fureur sans exemple !
Il poignarde en secret Sichée, et dans le temple ;
Plus traître encore, il montre une fausse douleur,
Il vient pleurer son crime avec sa triste sœur ;
Et pendant qu’il ravit leurs richesses immenses,
L’abuse et l’entretient de vaines espérances.
Mais dans l’obscure nuit, l’ombre de son époux
S’apparaît, lui montrant son sein percé de coups,
Les autels teints de sang, son corps sans sépulture,
Et lui démêle au long sa tragique aventure.
Il l’anime au départ par de pressants discours ;
A l’utile conseil ajoute un prompt secours,
Sous terre il lui découvre un trésor innombrable.
Sans bruit Didon s’apprête à la fuite honorable ;
Ce qui hait le Tyran avec elle est d’accord.
On conspire, on surprend les Navires au port ;
On y transporte l’or de l’avare Monarque ;
Le vent est favorable : on se sauve, on s’embarque.
Une femme conduit ce dessein glorieux ;
Et libre et triomphante, elle aborde en ces lieux
Où l’on voit jusqu’au Ciel s’élever son ouvrage,
Les orgueilleuses tours de la noble Carthage.
Mais toi, quel est ton sort, ta race et ton dessein ? »
     Arrachant un soupir du profond de son sein,
En ces mots, le Troyen répond à sa prière :
     « Le jour me manquerait plutôt que la matière,
Nymphe, s’il vous fallait conter tous nos travaux,
Et le cours ennuyeux de tant et tant de maux.
Si de Troie en ces lieux on a su la ruine,
     Troie était ma patrie, et ma haute origine ;
Par les vents, par les mers si longtemps agités,
La tempête en ces bords enfin nous a jetés.
Dans ma flotte, avec moi, j’emporte de Pergame
Les Dieux que j’ai sauvés du fer et de la flamme ;
Je suis le Prince Enée, illustre en piété,
Illustre par mon bras aux combats redouté :
Race de Jupiter, et guidé par ma Mère,
L’immortelle beauté qu’on adore en Cythère,
Je cherche aux bords fameux du grand fleuve Latin
La gloire réservée à mon noble destin.
Sur vingt nefs commença ma course vagabonde,
Je n’en sauve que sept de la fureur de l’onde,
Et d’Europe, et d’Asie éloigné par les mers,
Hors d’espoir de secours j’erre dans ces déserts. »
     Alors l’interrompant par sa douce parole,
La divine Cypris le flatte et le console :
« Crois-moi, qui que tu sois ; ton abord en ces lieux
M’apprend que tu n’es pas désagréable aux Dieux ;
Marche d’un pas hardi vers la ville prochaine ;
Avance sans rien craindre au palais de la Reine ;
Je t’annonce des tiens l’infaillible retour ;
Tes nefs seront au port avant la fin du jour,
Si mon père savant dans les choses futures
Ne m’apprit pas en vain le secret des Augures.
Vois douze cygnes blancs que du plus haut de l’air
Naguère poursuivait l’oiseau de Jupiter ;
Vois comme après le choc, en grand cercle ils s’étendent,
Planent en s’égayant, s’élèvent, puis descendent ;
Et des ailes battant, d’un mouvement léger
Chantent l’aise qu’ils ont d’être hors du danger.
Ainsi de tes Troyens la bouillante jeunesse
Pousse sur tes vaisseaux de hauts cris d’allégresse,
Soit qu’ils baissent la voile, ou jettent l’ancre au bord,
Soit que le vent en poupe ils entrent dans le port.
Marche, suis cette route » A ces mots, la Déesse
De ses rares beautés étale la richesse :
De ses cheveux épars s’exhalent dans ces lieux
Les exquises odeurs que respirent les Dieux ;
Sa robe se déploie, et la fait mieux paraître ;
Sa démarche divine enfin la fait connaître ;
Son fils la voit qui fuit avec tous ses Amours,
Et la poursuit dans l’air avecque ce discours :
     « O mère trop charmante, et plus cruelle encore,
Pourquoi te déguiser à ton fils qui t’adore ?
Que ne m’est-il permis de te voir quelquefois,
Et d’ouïr les vrais sons de ta céleste voix ? »
     Alors avec Achate, il marche vers Carthage ;
Mais Vénus, en marchant les couvre d’un nuage,
D’un air qu’elle épaissit par un secret pouvoir,
Afin que voyant tout, nul ne les puisse voir ;
Et s’envole soudain la mère des délices,
Rappelée à Paphos par mille sacrifices,
Dans ce Temple où toujours quelque Amant irrité
Accuse dans ses vœux quelque jeune beauté.
     Guidé par le sentier, le Troyen s’achemine ;
Et bientôt sur sa route, il trouve une colline
Qui commande la Ville, et découvre à ses yeux
Du Temple et du Palais le faîte audacieux.
Il voit les hautes remparts s’élever dans les nues,
Il arrive à la porte, entend le bruit des rues,
Il contemple attentif ces magnifiques toits,
De malheureux Pêcheurs cabanes autrefois.
     Ardent à son labeur, le Tyrien s’empresse ;
Les uns tracent les murs, haussent la forteresse,
Les autres, sur les lois affermissant l’Etat,
Des plus sages Vieillards composent un Sénat ;
D’autres creusent le port ; chacun choisit sa place,
Et par le soc tranchant s’en fait marquer l’espace ;
En tous lieux retentit pour l’ouvrage nouveau,
Ou la mordante scie, ou le pesant marteau.
Là se fonde un théâtre, ici roule avec peine
La superbe colonne, ornement de la scène.
     Des abeilles on pense admirer le travail
Quand des fleurs du Printemps pillant le riche émail,
Les unes font la cire, aux ruches la suspendent ;
Les autres au-dedans le doux nectar étendent ;
Celle-ci vole aux champs ; une autre à son retour
La décharge du faix, et s’en charge à son tour ;
Leur peuple est trop nombreux, on sonne la trompette ;
L’essaim aventurier cherche une autre retraite ;
Quelquefois tout décampe ; et leurs fiers bataillons
Présentent le combat aux paresseux frelons :
Jamais d’oisiveté dans leur petit empire.
     « Heureux quiconque ainsi ses ouvrages admire »
S’écrie Enée alors, contemplant ces palais ;
Il marche cependant dans le nuage épais,
Il avance, il approche, et lui-même s’étonne
Que mêlé dans la foule, il n’est vu de personne.
     Au centre de la ville était un bois plaisant :
Ces peuples Tyriens dans la terre creusant,
Soudain que sur ces bords les jeta la tempête,
D’un cheval belliqueux y trouvèrent la tête
Pour présage assuré d’un peuple courageux,
Comme l’avait promis un Oracle fameux.
A Junon dans ce bois Didon fondait un temple ;
Avec étonnement le Troyen le contemple :
Par vingt degrés de bronze aux portes il parvient ;
Les portes font gronder l’airain qui les soutient.
Là sa douleur se calme, et là son cœur commence
A se laisser flatter d’une douce espérance ;
Car pendant qu’en ce temple il promène ses yeux
Sur la riche matière, ou sur l’art curieux,
Il voit peintes par ordre autour de ses murailles,
Du fameux Ilion les sanglantes batailles.
Des Atrides il voit le couple belliqueux,
Achille encor plus brave et terrible qu’eux ;
Il voit le vieux Priam, et saisi de tristesse,
A son fidèle Achate, en ces mots il s’adresse :
     « Quel climat aujourd’hui n’est plein de nos travaux ?
Jusqu’en ces bords lointains on a pleuré nos maux ;
On y prise l’honneur, espérons, et peut-être
Le bruit de tant d’exploits nous y fera connaître. »
Sur ces divers tableaux, sources de ses douleurs,
Il arrête ses yeux humides de ses pleurs.
Dans le premier qui s’offre il voit les Grecs en fuite ;
La jeunesse Troyenne est âpre à leur poursuite ;
Dans cet autre, à son tour le Phrygien s’enfuit,
Jusqu’aux portes de Troie Achille le poursuit.
     Non loin campe Rhésus, le jeune Roi de Thrace,
Qui de secourir Troie avait conçu l’audace ;
On voit dans ce tableau son sort infortuné ;
On y voit Diomède au massacre acharné,
Et les fameux coursiers enlevés de leur tente
Avant qu’ils eussent bu l’eau fatale du Xanthe.
     Là transpercé d’un dard, Troïle désarmé
Fuit devant son vainqueur de colère enflammé ;
Renversé de son char, enfant trop imbécile
Pour oser faire tête au redoutable Achille,
On le voit emporté de ses chevaux fougueux
Par terre, et dans son sang traînent ses blonds cheveux.
D’une main toutefois il serre encore les rênes :
Le dard marque après lui sa fuite sur les plaines.
     Là semble faire ouïr au temple de Pallas
Ses vœux entrecoupés de funestes hélas
Des Dames d’Ilion la troupe effarouchée :
Pallas voit leur misère et n’en est point touchée.
Achille autour des murs trois fois traînant Hector,
De son corps, le cruel trafique au prix de l’or ;
Enée, à cet objet, sent redoubler ses larmes
Quand d’un ami si cher il reconnaît les armes,
Et voit le vieux Priam tendre sa faible main
Au funeste présent du vainqueur inhumain.
     Lui-même il s’aperçoit mêlé dans ces batailles ;
Il voit du noir Memnon les tristes funérailles,
Il voit Penthésilée au courage bouillant :
Fille, elle ose attaquer des Grecs le plus vaillant !
Sa targe par le haut en croissant est coupée ;
D’une ceinture d’or pend sa brillante épée.
     Tandis que ce héros rempli d’étonnement,
Sur ces divers objets s’attache fixement,
Des plus rares beautés et des Reines l’exemple,
Avec toute sa Cour Didon vient dans ce temple.
     Telle qu’aux bords d’un fleuve, au plus profond d’un bois,
Le dos encor chargé de son riche carquois,
Diane efface au bal l’élite des Dryades,
Et surpasse l’éclat des blondes Oréades :
Rien n’égale son air, son port, et sa beauté ;
Latone sent son cœur d’aise tout transporté.
     Telle, et plus fière encor la Reine de Carthage
Voyait fleurir son règne, et croître son ouvrage.
Sur un trône élevé sous un superbe dais
Où sa garde alentour serre ses rangs épais,
Au milieu de ce temple, elle prend sa séance
Pour donner à son peuple une libre audience.
Elle imposait des lois, réglait tout justement,
Prompte à la récompense et lente au châtiment ;
Divisait le travail, égalait l’avantage,
Ou par le sort en faisait le partage :
Quand Enée aperçoit la fleur de ses Troyens
Dans le nombreux concours des peuples Tyriens ;
Il reconnaît Anthée, et Sergeste, et Cloanthe,
Ses chefs naguère épars par l’horrible tempête.
     Achate à cet objet rappelle ses esprits,
Et de crainte et de joie également surpris,
Impatient de voir quelle est leur aventure,
Il brûle de sortir de la nuée obscure ;
Car il voit après eux redoubler la rumeur,
Il entend jusqu’au ciel retentir la clameur.
Mais il est retenu par le prudent Enée
Qui veut prêter l’oreille au sage Ilionée :
Ce vieux Chef se prosterne et parle au nom de tous ;
D’un ton grave il s’exprime, et d’un air noble et doux :
     « Reine qui tiens soumis à ton sceptre équitable,
Dans ta ville naissante, un peuple formidable,
De malheureux Troyens par les vents agités
Implorent à tes pieds tes divines bontés :
Accorde une retraite à nos troupes errantes,
Et sauve nos vaisseaux des flammes dévorantes.
Portons-nous dans les yeux l’audace, ou la fureur ?
Pouvons-nous, fugitifs, inspirer la terreur ?
Contraints d’abandonner notre chère patrie,
Nous cherchions par les mers l’ancienne Hespérie,
Italie est le nom qu’elle tient aujourd’hui
D’un Héros autrefois sa gloire et son appui.
Quand pour signe assuré d’une horrible tempête,
L’orageux Orion des flots lève la tête :
Soudain l’onde s’émeut, et nos pâles nochers
Sont jetés sur les bancs, poussés sur les rochers.
D’une flotte nombreuse après ce grand orage,
Quelques vaisseaux à peine abordent ce rivage
Que ton peuple, ennemi de l’hospitalité,
Nous refuse l’asile et le port souhaité.
Rebutés de la mer, il nous défend la terre ;
Nous demandons la paix, il nous livre la guerre.
Si l’on méprise ici le pouvoir des humains,
Pour punir les forfaits les grands Dieux ont des mains.
Au nom de notre Roi, le généreux Enée,
(Si toutefois des vents la rage forcenée
Dans les ondes n’a point son sort précipité)
Au nom de ce Monarque illustre en piété,
Fameux par sa valeur, fameux par sa justice,
Reine, plains nos malheurs et deviens-nous propice.
Aceste, digne sang des Monarques Troyens,
Règne encore avec gloire aux bords Siciliens.
Permets-nous d’équiper notre flotte brisée ;
Souffre que rejoignant sa force divisée,
Guidés par notre Roi sous de meilleurs auspices,
Nous arrivions enfin aux rivages Latins ;
Ou si nous conservons une espérance vaine
D’être encor commandés par ce grand Capitaine,
Que du moins implorant Aceste ce bon Roi,
Nous puissions nous ranger sous sa loi. »
     C’est ainsi que parla le sage Ilionée.
Il s’élève un bruit sourd et sa troupe étonnée
Frémit en attendant l’effet de ses propos ;
Didon baisse la vue, et répond en ces mots :
     «Calmez ces vains soucis, et bannissez la crainte ;
A ces dures rigueurs, Troyens, je suis contrainte :
De mon règne naissant la faible autorité
Fait veiller cette garde avec sévérité.
Qui ne sait d’Ilion la triste destinée,
Qui ne sait les vertus du valeureux Enée ?
Ici luit comme ailleurs le clair flambeau du jour,
Et nous n’habitons point un barbare séjour.
Soit que tous vos projets se bornent en Sicile,
Soit que vous aspiriez au rivage fertile
Renommé par Saturne et son règne doré,
Mon secours est tout prêt, et vous êtes assurés
Que si las de tenter ces fortunes diverses
Vous voulez dans ces lieux finir tant de traverses,
Sortez de vos vaisseaux, magnanimes Troyens,
Partagez mes faveurs avec mes Tyriens ;
Et plût au juste Ciel que votre vaillant Prince,
Poussé du même vent, abordât ma Province.
Je veux pour le chercher qu’on coure tous les ports,
Les rochers, les forêts de ces Libyques bords. »
     Le valeureux Achate et son illustre Maître,
Animés par ces mots, sont tentés de paraître ;
Achate le premier l’en sollicite ainsi :
« Vaillant fils de Vénus, qui nous retarde ici ?
La Fortune nous rit, nous flatte, et nous seconde :
Nos amis sont sauvés de la fureur de l’onde,
Tous nos vaisseaux au port, hors la nef qu’à nos yeux
Abîma sous les flots l’Aquilon furieux :
Tout répond aux discours de ta divine Mère. »
     A peine il a parlé que devenant plus claire,
La nue en l’air s’écoule, et fait paraître au jour
Le Troyen, digne fils de la mère d’Amour.
Il paraît tel qu’un Dieu : la charmante Déesse
Lui prête l’immortelle et céleste jeunesse,
L’or de ses blonds cheveux, un teint vif et vermeil,
Et le feu de ses yeux plus clair que le soleil.
Ainsi de l’Artisan la main souple et savante
Ajoute un nouveau lustre à l’ivoire luisante ;
Ainsi reluit le marbre, ou l’argent façonné,
Quand d’un or éclatant il est environné.
     Son aspect imprévu rend sa troupe étonnée.
« Troyens, s’écria-t-il, reconnaissez Enée,
Votre Prince vainqueur de la rage des flots. »
     Se tournant vers la Reine, il poursuit en ces mots :
« Reine, qui par pitié de nos longues misères,
Accordes un asile à nos Dieux tutélaires,
Et ne dédaignes point ces restes malheureux
De la fureur des Grecs et des vents orageux ;
Bannis de toutes parts, pouvons-nous être dignes
De ces rares bienfaits, de ces faveurs insignes ?
Les Dieux (s’ils sont touchés de la sainte équité,
D’un cœur pur et sincère et de la piété)
Les Dieux reconnaîtront cette bonté divine.
Heureux l’illustre auteur de ta noble origine !
Tant qu’au vaste Océan les fleuves couleront,
Tant qu’aux voûtes des Cieux les astres brilleront,
En quelque région que mon destin m’appelle,
J’y rendrai ta louange, et ta gloire immortelle. »
     Ayant fini ces mots, d’un air noble et hautain
Au sage Ilionée il présente la main,
Il embrasse Sergeste, et Gyas, et Cloanthe,
Et les plus signalés de leur troupe vaillante.
Ces guerriers à leur Roi s’offrent avec respect.
Didon paraît surprise à ce premier aspect :
L’aventure l’étonne, elle en revient à peine ;
En ces termes enfin s’exprime cette Reine :
     « Invincible Troyen, illustre sang des Dieux,
Quel étrange destin te poursuit en ces lieux ?
C’est donc toi qu’enfanta la Reine de Cythère,
Abandonnant le ciel pour Anchise ton père
Lorsque le Simoïs vit leurs tendres amours ?
De moi je me souviens qu’implorant le secours
Du triomphant Bélus, d’où vient mon origine,
Teucer vint à Sidon, banni de Salamine :
Bélus ravageait Chypre, et lui donnait la loi ;
Au seul nom de Bélus, l’île tremblait d’effroi ;
Dès ce temps m’est connu le fameux nom d’Enée,
Et de vos grands Héros l’illustre destinée.
Teucer, quoique ennemi, l’élevait jusqu’aux cieux,
Et se vantait d’avoir vos grands Rois pour aïeux.
Vivez donc, ô Troyens, vivez en assurance :
Comme vous des destins je connais l’inconstance ;
Mes malheurs m’ont appris qu’un esprit généreuxV Sait se montrer sensible au sort des malheureux. »
     Elle ordonne, à ces mots, qu’on offre la victime,
Conduit à son palais son hôte magnanime ;
Cependant pour les siens elle envoie aux vaisseaux
Cent bœufs et cent brebis, et leurs tendres agneaux,
Et du divin Bacchus le présent et la joie.
Partout dans sa splendeur le luxe se déploie :
Ce ne sont au palais que festins, que concerts,
Qu’habits riches d’étoffe et d’ouvrages divers ;
Les vases précieux éclatent sur les tables,
Et d’un savant burin les traits inimitables
Y font lire sur l’or les antiques aïeux,
Et de la nation les exploits glorieux.
     Enée envoie Achate à son aimable Ascagne
(Car l’amour paternel en tous lieux l’accompagne)
Pour l’instruire de tout, pour lui faire savoir
L’impatient désir qu’a Didon de le voir.
Il commande surtout qu’aussitôt il envoie
Les plus riches présents sauvés des feux de Troie,
La couronne, le sceptre, et le royal atour
Dont brillait Ilione au grand et triste jour
Que l’asservit Hymen aux lois d’un Prince avare ;
Le voile magnifique, et la riche simarre,
De la charmante Hélène ornement précieux,
Quand de tous les Troyens elle éblouit les yeux,
Ce jour pour eux fatal qu’elle entra dans Pergame,
Y traînant après elle, et le fer, et la flamme.
     Achate vers la flotte avançait à grands pas.
Vénus qui n’a pas moins de ruses que d’appas,
Méditait cependant un étrange artifice.
Sachant de Cupidon l’adresse et la malice,
Elle crut qu’aisément l’Enfant maître des Dieux
Pourrait prendre d’Ascagne et la taille et les yeux,
Imiter sa parole, et son air, et sa grâce,
Porter sans être vu les présents en sa place,
Et pénétrer Didon d’un violent amour.
Car mille soins divers la troublent nuit et jour :
Elle connaît Junon, et redoute sa haine,
Le Tyrien menteur, et la Cour incertaine.
Donc au Tyran des cœurs elle s’adresse ainsi :
     « Mon fils, ma seule force, et mon plus cher souci,
Dont les traits plus puissants que les traits du tonnerre
Sont redoutés du Roi du ciel et de la terre ;
Ta Mère, mon Enfant, t’implore en ses malheurs ;
Tu sais combien Junon m’a fait verser de pleurs.
De rivage en rivage elle poursuit ton frère ;
Toi-même je t’ai vu pleurer de ma misère.
Il reçoit à Carthage un traitement plus doux ;
Mais l’altière Junon le voit d’un œil jaloux,
Et je crains que bientôt son implacable rage
Ne change ce doux calme en un cruel orage.
Par ruses prévenons ce fatal changement :
Dans le cœur de Didon tu peux en un moment
Allumer pour ton frère une flamme insensée,
Un amour sans remède, et voici ma pensée :
Ascagne en ses vaisseaux fait l’élite des donsV Sauvés des feux de Troie, et des gouffres profonds ;
Il va trouver Didon par l’ordre de son père.
Je le veux transporter au sommet de Cythère,
Ou dans l’heureuse Chypre entre les verts pavots
Le tenir assoupi d’un paisible repos.
Sois pendant une nuit à cet enfant semblable,
Et quand parmi le luxe et les jeux de la table,
Didon en ses transports te prenant en ses bras
Te donnera pour lui cent baisers pleins d’appas,
Fais couler dans son cœur le poison agréable
Et l’invisible feu qui te rend redoutable. »
     Amour descend du ciel, et cachant aux regards
Son arc et son flambeau, ses ailes et ses dards,
Il prend du jeune Ascagne, et l’air, et le visage ;
Tandis qu’aux monts de Chypre en un plaisant bocage
De myrtes amoureux et d’odorants jasmins,
Vénus porte l’enfant si chéri des Destins.
Sa tête doucement est sur elle penchée,
Des pavots du sommeil sa paupière est touchée.
     Déjà chargé des dons, le trompeur Cupidon
Marchait avec Achate au palais de Didon ;
Il vient, et sous le dais d’un ouvrage admirable,
La Reine prend sa place au milieu de la table ;
Auprès d’elle est Enée, et sur les plus beaux lits,
Par ordre ses Troyens sont sur la pourpre assis.
On apporte le pain dans les riches corbeilles,
Dans cent flacons divers vient la liqueur des treilles ;
Cent vierges ont le soin des mets délicieux,
Et de nourrir le feu des domestiques Dieux ;
Autant servent la table, autant de jeunes pages
Portent aux conviés les différents breuvages.
Sur des lits peints, assise au-dessous des Troyens,
Brille au festin royal la fleur des Tyriens ;
Tous admirent Enée, et sa magnificence,
L’esprit du feint Ascagne, et son aimable enfance,
L’éclatante simarre, et le voile sans prix.
Mais surtout de Didon les beaux yeux sont surpris :
Dévouée au malheur de son destin funeste,
Ses regards dans son cœur coulent l’ardente peste.
     Après avoir montré par mille embrassements
Des tendresses d’un fils tous les faux sentiments,
Amour passe vers elle, et dans ses bras s’enlace ;
Elle le prend, le baise, et doucement l’embrasse,
Malheureuse qu’elle est de ne connaître pas
Combien est dangereux ce Dieu rempli d’appas.
Sans se faire sentir, préparant sa victoire,
Il efface Sichée, et sa triste mémoire ;
Et par Vénus instruit, tâche de rallumer
Ce cœur devenu tiède au doux plaisir d’aimer.
Sur la fin du repas, on s’anime à la table ;
On vide les flacons du nectar agréable ;
La joie épand le bruit, et par diverses fois
Le palais retentit d’un cri de mille voix.
Cent lampes du lambris animent la peinture,
Et l’artiste travail de la lente sculpture ;
Des flambeaux redoublés la brillante clarté
Dissipe de la nuit l’épaisse obscurité.
La grande Reine alors, selon l’antique usage,
Prend la coupe, et l’emplit de l’excellent breuvage,
La coupe de Bélus, où maint saphir reluit ;
Puis prononce ces mots qui suspendent le bruit :
     « Sois présent, Roi des Dieux et des hommes le père,
Jupiter (car c’est toi qu’en tous lieux on révère
Pour auteur des saints droits de l’hospitalité),
Daigne rendre ce jour heureux par ta bonté
Aux illustres bannis de Sidon et de Troie,
Et jusqu’à nos neveux en conserve la joie.
Sois propice, Junon, notre suprême appui ;
Et toi, divin Bacchus, fatal au triste ennui :
Célébrez Tyriens un jour si remarquable. »
     Alors de la liqueur elle arrose la table,
Fait l’essai de la coupe, et de la même main
La porte Bitias, qui l’épuise soudain :
Il se plonge dans l’or ; et du même vin pleine
A son exemple autour la coupe se promène
Pendant que retentit la harpe d’Iopas,
Ce disciple fameux de l’admirable Atlas.
     Il chante ce qui fait la pluie et le tonnerre,
D’hommes et d’animaux ce qui peuple la terre ;
La Lune au teint changeant, et ses déclinaisons,
La course du Soleil par les douze maisons,
L’Arcture, et le lever des humides Hyades,
L’écharpe d’Orion, et l’Ourse, et les Pléiades ;
Pourquoi des nuits d’été si rapide est le cours ;
Pourquoi pendant l’hiver les soleils sont si courts.
A son chant applaudit la Troyenne jeunesse,
Le Tyrien en pousse un haut cri d’allégresse.
     La Reine cependant boit le mortel poison
Qui se prend par les yeux, et trouble la raison ;
Passe en discours la nuit, en diverses demandes,
Sur les troupes des Grecs, sur les Troyennes bandes,
Sur Priam, sur Hector, sur ces nobles travaux,
Sur le fier Diomède, et ses vites chevaux ;
Se fait dépeindre Achille, et se fait dire encore
Quel fut ce vaillant fils tant pleuré par l’Aurore.
« Ou plutôt, lui dit-elle, invincible Héros,
Dès la source première entame ton propos ;
Raconte moi des Grecs l’insigne perfidie,
De la fin d’Ilion l’affreuse tragédie,
Ta course vagabonde, et tant de maux divers ;
Car depuis que les vents t’agitent par les mers
Et qu’on te voit errer en des terres lointaines,
Pour la septième fois l’été dore nos plaines. »

Jean Regnault de Segrais

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1943   21 août   

Henrik Pontoppidan, écrivain danois, prix Nobel de littérature en 1917

Henrik Pontoppidan Romancier danois
[Littérature étrangère]
Né à Frederica le 24 juillet 1857
Décédé à Copenhague le 21 août 1943
Il reçut le Prix Nobel de littérature en 1917 avec son compatriote Karl Adolph Gjellerup.

Biographie

Romancier danois dont les romans réalistes et pessimistes ont dépeint les maux sociaux et la situation malheureuse du prolétariat rural. Pontoppidan a partagé avec Karl Gjellerup le prix Nobel pour la littérature en 1917. Thomas Mann l’a appelé « un poèt épique né… un conservateur vrai, qui dans un monde essoufflé a préservé le modèle grand dans le roman. » Bien que Pontoppidan ait été un critique pointu de la société danoise moderne, il n’a pas joint les rangs des auteurs doctrinaires de naturalisme.

« Henrik Pontoppidan s’est caractérisé comme « storyteller populaire. » Cette individu-caractérisation modeste par un auteur épique inspiré correspond à son modèle clair, que « De-est lyrique » la langue. Aucun autre auteur danois moderne n’a pu peindre tellement avec précision un tableau complet de son temps – ses mouvements intellectuels et ses personnes. » (Sven H. Rossel dans une histoire de la littérature scandinave, 1870-1980, 1982) Henrik Pontoppidan est né dans la ville de Fredericia, sur la péninsule du Jutland. Son père était un disciple de N.F.S. Grundtvig, un théologien radical. La famille s’est déplacée à Randers, qui a été brièvement occupé et renvoyé par les troupes prussiennes et autrichiennes. Cette période de destruction a laissé une impression profonde sur Pontoppidan, qui plus tard est retourné dans l’invasion dans ses travaux.

Comme protestation contre sa famille, Pontoppidan n’a pas continué ses traditions ecclésiastiques. Au lieu de cela il a étudié à l’institut de Polytechic de Copenhague mais d’ici 1879 il a interrompu ses études presque achevées de technologie. Pontoppidan a quitté Copenhague et jusqu’en 1910 il a habité dans Sealand du nord. Il a travaillé en tant que professeur dans un lycée folklorique et a édité sa première collection d’histoires courtes, ailes coupées, en 1881. Mette marié par Pontoppidan Marie Hansen par même année et ensuite il s’est soutenu par l’écriture. Jusqu’à 1888 les couples ont vécu dans la campagne, mais après des voyages en l’Allemagne et Italie, Pontoppidan arrangés à Copenhague.

Dans ses premiers travaux Pontoppidan a étudié le contraste entre la nature et la culture, l’environnement et les aspirations humaines. Dans l’histoire courte « Kirkeskuden » (le modèle de bateau) des ailes coupées une jeunesse gitane perdue ses parents, Ove, est augmentée par un ministre et son épouse. Il place un bateau votif de l’église dans l’eau, et elle descend immédiatement. Comme le coup de Herman (1857-1912), un autre auteur principal de la période, Pontoppidan a tourné le sien de nouveau à l’appel de Brandes du naturalisme en littérature. Jusqu’à 1890, Pontoppidan a produit plus de 10 livres, mais il est le plus célèbre pour le sien travaille plus tard, trois grandes séries de roman, TERRE de DET FORJAETTEDE (3 vols, 1891-95, la terre promise), LYKKE-PER (8 vols, 1898-1904), et DE DØDES RIGE (5 vols, 1912-16). Tous protagonistes en ces romans ironiques essayent de changer la leur propre vie ou société, mais leurs tentatives mènent à la désillusion et à la chute sous le fardeau de l’environnement. Pontoppidan a analysé beaucoup des idées et de la croyance de l’âge, mais particulièrement il a attaqué des orthodoxies religieuses.

La trilogie la terre promise était au sujet des disciples de Grundtvig et de son rival, la mission évangélique d’Indre. Elle a dessiné un portrait psychologique des aspirations, des tentations, et de la destruction finale du pasteur Emanuel Hansted, un idéaliste religieux. Pontoppidan a voulu créer un travail, dans lequel une image du Danemark moderne est présentée par des individus et leurs destins dans des conflits sociaux, religieux, et politiques. Des syndicats ont été établis de 1879, le mouvement coopératif a commencé en 1882, la partie rurale est devenue la plus grande partie, mais la question du parlamentarism et le refus de la droite régnante de partager la puissance ont causé beaucoup d’amertume et de passivité politiques. Emanuel Hansted participe à la vie spirituelle et politique de sa communauté. Son idéalisme est brisé, Emanuel laisse sa famille et se déplace à Copenhague, engage une affaire avec une femme cosmopolite, et des éviers dans la bigoterie mystique, et des extrémités dans un établissement mental, où il meurt.

En Pontoppidan le premier mariage 1888 a fini quand son épouse retournée au pays pour vivre avec ses parents – elle était une fille rurale avec qui Pontoppidan a essayé de partager une vie de Tolstoyan. En 1892 il a épousé Antoinette C.E. Kofoed ; ils ont eu deux enfants. Quand un certain nombre d’autres auteurs se sont consacrés aux thèmes personnels et étaient fatigués de la crise parlamentary continue, des échecs moqueurs par Pontoppidan du gouvernement. SKYER (1890) était acollection des histoires, dans lesquelles il a attaqué la poltronnerie des personnes, qui tolèrent le retard.

« Je me suis tourné vers le roman, une forme artistique qui en anciens jours avait été négligée et avait ainsi acquis une mauvaise réputation, mais qui pendant le dix-neuvième siècle s’était développée et avait élevé lui-même aux rangs a occupé par drame et l’épopée antique. » (de l’autobiographie, voir les gagnants de prix Nobel) Entre les années Pontoppidan 1898 et 1904 a écrit le roman de huit-volume Lykke-Par, la saga des aspirations et la défaite de l’ingénieur, de l’arpenteur, et de l’inspecteur de route par Sidenius, vis-à-vis Emanuel Hansted, qui des buts altruistes de purseud. Par est le fils d’un prêtre, il se rebelle contre son éducation, et se consacre dans un grand projet industriel. Après que les échecs dus à sa faiblesse pour agir, il trouve encore le christianisme traditionnel. Le protagoniste agité a partagé plusieurs des expériences de Pontoppidan lui-même, mais le caractère a été également considéré comme un type national. Le critique marxiste Georg Lukácsa écrit : La « ironie de Pontoppidan se situe dans le fait qu’il laisse son héros réussir toute heure, mais prouve qu’une puissance démoniaque le force à considérer tout qu’il a gagné comme sans valeur. » Le bout des romans principaux de Pontoppidan, De Dødes Rige (le royaume des morts), a peint un panorama social pessimiste du changement politique du Danemark. L’histoire sombre un propriétaire de domaine du Jutland, un prince danois Myshkin, souhaite faciliter les ouvriers sur ses propriétés, et les voit se retourner contre lui. Enslev, un politicien, poursuit sa carrière sans s’inquiéter vraiment le peuple dont de l’l’appui il a besoin. « Maintenant je meurs, mais je n’ai jamais vécu, » dit un des caractères. Les travaux postérieurs de Pontoppidan incluent quatre plus les mémoires d’un volume (1933-43). De 1928 il a habité dans Charlottenlund, une banlieue de Copenhague, où il est mort le 21 août 1943. Le dernier roman de Pontoppidan, Heaven de l’homme (1927), a indiqué l’histoire d’un homme impitoyable dans un pays de currupt qui veut tirer bénéfice de la guerre. Thorsen, un journaliste, soutient la participation à la guerre, contre la vue des personnes insouciantes.

Pour davantage de lecture : Henrik Pontoppidan par K. Ahnlund (1956) ; « Henrik Pontoppidan en tant que critique de la société danoise moderne » par Ernst Ekman, dans les études scandinaves, 29 (1957) ; « Henrik Pontoppidan : L’église et le Christrianity après 1900 » par Glyn W. Jones, dans les études scandinaves, 30, (1958) ; La théorie du roman par G. Lukács (1971) ; Samfundskritik de Henrik Pontoppidans par Haugaard coudé Jeppesen. (1977) ; Henrik Pontoppidan par P.M. Michell (1979) ; Une histoire de la littérature scandinave, 1870-1980 par Sven H. Rossel (1982) ; « Une histoire de Literatures danois », E-D. par Sven H. Rossel, dans une histoire de Literatures scandinave, vol. 1 (1992) ; Le monde écrit 1900-1950, E-D. par Martin Seymour-Smith et Andrew C. Kimmens (1996) ; « Roman scandinave » par George C. Schoolfield en encyclopédie du roman, vol. 2 (1998) ; Les kærligheds d’umulige de repaire nødvendighed des hos Henrik Pontoppidan par Elsebeth Diderichsen (2002)

Henrik Pontoppidan
Prix Nobel en littérature 1917
« pour ses descriptions authentiques de la vie actuelle au Danemark »

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Le jour par jour

1625   20 août   

Thomas Corneille : écrivain français.

Thomas Corneille (Rouen, 20 août 1625 – Les Andelys, 8 décembre 1709) est un juriste et auteur dramatique français.

Thomas CORNEILLE  

Deux frères très unis

Fils d’un maître particulier des eaux et forêts en la vicomté de Rouen, Pierre et Thomas Corneille font partie d’une famille de six enfants. Thomas, né le 20 août 1625 à Rouen, est de dix-neuf ans le cadet de Pierre. Tous deux suivent leurs études au collège des jésuites de Rouen. Thomas quitte ce collège en 1643 et entre à l’Université de Caen pour étudier le droit.
Le 21 octobre 1649, il est reçu avocat. Il exerce alors quelque temps au Parlement de Normandie, mais sa passion pour le théâtre se fait de plus en plus dévorante, et rapidement il décide d’abandonner le droit pour se consacrer entièrement à l’écriture.
Cet amour du théâtre lui vient principalement de son frère Pierre, devenu son tuteur à la mort de leur père en 1639.
Pierre le conseille et le guide tout au long de ses études, et l’influence ainsi énormément. Cette ascendance de l’aîné sur le cadet aura beaucoup de répercussions positives. Les deux frères deviennent en effet inséparables.
En 1650, Thomas épouse même la sœur de la femme de Pierre, Marguerite de Lampérière, de quatre ans et demi son aînée. De fait, dans leur mode de vie, les deux hommes restent très proches : ils vivent dans le même logement, ils ont le même nombre d’enfants, et les deux familles s’épanouissent dans une atmosphère sereine et heureuse.
En vérité, dès cet instant, l’ardeur littéraire de Pierre ne pouvait que se développer aussi chez Thomas.

Le modèle espagnol : la comédie

Thomas Corneille débute au théâtre avec des comédies inspirées des auteurs espagnols comme Calderón ou don Fransisco de Rojas. A l’Hôtel de Bourgogne sont représentées successivement Les Engagements du hasard (1647) et Le Feint astrologue (1648), comédies inspirées de Calderón. Une nouvelle comédie est jouée à l’Hôtel de Bourgogne en 1650 : Don Bertrand de Cigarral imitée cette fois-ci de Fransisco de Rojas. Cette pièce surpasse les précédentes. Elle sera régulièrement jouée par la troupe de Molière de 1659 à 1661 et le public lui accordera encore sa faveur en 1685. L’Amour à la mode jouée en 1651, est une adaptation originale d’une pièce d’Antonio de Solis.

Vers un genre prestigieux : la tragédie

A partir de 1653, Thomas Corneille va se tourner vers de nouveaux genres théâtraux. Il se lance tout d’abord dans une comédie pastorale avec Le Charme de la voix. La pièce ne remporte aucun succès, l’intrigue est jugée trop compliquée.
Puis en 1654, il entreprend une tragi-comédie pour laquelle il est en concurrence avec Scarron et l’abbé Boisrobert. Il est le premier à terminer la pièce qu’il intitule Les Illustres ennemis. L’œuvre est reçue chaleureusement par le public de l’Hôtel de Bourgogne. La Dédicace de cette pièce comme celle de Bérénice (1657) met en valeur la facilité dont bénéficie Thomas Corneille pour manier le beau langage.
Cette maîtrise de la langue le rend populaire au sein de la société des Précieuses dont il fréquente les salons et dans lesquels il fait preuve de subtilité. Il prend part aux discussions de morale amoureuse et va même jusqu’à composer des madrigaux et des lettres galantes pour le plaisir des « mondaines ».
La fréquentation régulière des salons influence son travail et lui apporte surtout un grand succès.

Il revient ponctuellement à la comédie en 1655 avec Le Geôlier de soi-même, qui remporte un réel triomphe. Elle sera d’ailleurs toujours jouée au XVIIIe siècle sous le titre de Jodelet Prince.

Mais c’est avant tout dans la tragédie que veut se lancer le jeune Corneille. Or son frère Pierre est malade et il ne travaille plus pour le théâtre depuis 1653. Malgré l’affliction que ressent alors Thomas, il se rend compte qu’il y a dès lors un vide littéraire à combler dans la création de tragédies et il décide de se lancer dans ce genre prestigieux.

C’est ainsi que naît Timocrate, tragédie d’inspiration antique qui répond parfaitement au goût du public. L’intrigue est compliquée à souhait, les sentiments sont raffinés jusqu’à l’invraisemblance, le romanesque s’y répand fastueusement et surtout la pièce connaît une fin heureuse. Elle est le type même de la tragédie précieuse qui remporte l’engouement du public. Timocrate est représentée pour la première fois sur la scène du Marais. Le roi y assiste, Thomas lui est présenté, ce dernier obtient la protection du roi ainsi que celle du Duc de Guise, et de Fouquet. Cette pièce est interprétée pendant près de six mois à salle comble, soit quatre-vingts représentations consécutives, c’est-à-dire mieux que son frère, mieux que Racine ou Molière. Fort de ce succès, Thomas Corneille va donc produire une série de tragédies plus ou moins bien accueillies. Bérénice, inspirée du Grand Cyrus de Mme de Scudéry, est donnée en 1657.
L’année suivante La Mort de l’empereur Commode est jouée au Marais, c’est un triomphe auquel le roi vient à nouveau assister.
L’année 1659 est marquée par Darius, tragédie qui remporte la faveur des spectateurs. C’est aussi l’année du retour de Thomas Corneille à l’Hôtel de Bourgogne ; mais c’est surtout le retour de Pierre Corneille sur la scène. P. Corneille a pour cela suivi les encouragements de Fouquet qui lui avait proposé de choisir parmi trois sujets : Œdipe, Camma, et Stilicon.
Pierre choisit le premier, Thomas les deux suivants. Les deux pièces sont respectivement représentées pour la première fois les 28 janvier 1661 et 27 janvier 1660. Le succès de ces deux dernières pièces est tel que les acteurs manquent de place pour jouer.

De 1661 à 1670, plusieurs pièces vont être données : Pyrrhus, Roi d’Épire (fin 1661), Maximian (février 1662), Persée et Démétrius (décembre 1662), Antiochus (1666). Laodice (février 1668) et Le Baron d’Albikrac, deux réussites auprès du public, sont mises en scène la même année. Le Galant doublé, comédie, est donnée en 1669.
A la fin de la même année, l’échec rencontré par La Mort d’Hannibal (novembre 1669) et La Comtesse d’Orgueil est le signe d’un changement prochain dans le goût du public.

Thomas Corneille et la troupe de Molière

En premier lieu, le changement intervient dans la vie même des deux frères Corneille qui quittent Rouen pour s’installer à Paris dès 1662. De 1673 jusqu’à 1681, ils vivent dans le même logement rue de Cléry. Puis ils se séparent : Pierre s’installe rue d’Argenteuil, Thomas rue du Clos-Georgeot.

Sur la scène théâtrale, le genre cornélien ne fait plus recette. C’est pourquoi Thomas Corneille se tourne vers Racine alors très acclamé. En quarante jours seulement, il rédige une tragédie mythologique Ariane (1672), un véritable chef-d’œuvre. Suivront Théodat (fin 1672) et La Mort d’Achille (1673), tragédies peu remarquées.

Mais en 1673, Molière meurt et laisse une troupe d’acteurs orpheline. Elle a besoin d’auteurs. Thomas Corneille est choisi. La troupe de Guénégaud est ainsi formée, ayant également en son sein les meilleurs acteurs du Marais. Le Festin de pierre, interprétée en 1673, est une adaptation en vers de la pièce de Molière Dom Juan, composée sur la demande de la veuve de ce dernier en « purgeant certaines choses qui blessaient la délicatesse des scrupuleux » (Thomas Corneille), mais tout en restant très près de l’original. Elle est suivie d’une comédie romanesque Dom César d’Avalos (1674).
En mars 1675 a lieu la première représentation de Circé, une pièce à machines qui se situe entre l’opéra et la tragédie. Les machines et décors sont mobiles : les plantes fleurissent, les montagnes s’élèvent, les statues s’animent et s’envolent, les jardins se transforment en rochers sur lesquels s’abattent les flots : c’est une scène pleine de magie qui évolue sous les yeux du public. L’œuvre est un véritable triomphe. Thomas Corneille réitère l’expérience quelques mois plus tard avec L’Inconnu à l’automne 1675. Cette comédie va connaître le succès pendant plus d’un siècle. Par contre, Le Triomphe des Dames, joué le 7 août 1676, ne remportera pas la faveur du public.
Dans la même période, Racine échoue avec Phèdre, ce qui laisse un champ ouvert pour Thomas Corneille. Il revient donc à la tragédie avec Le Comte d’Essex (1678), qui soulève l’engouement des spectateurs. Par la suite, il collabore avec Lulli : en sont issus Psyché (à laquelle participe également Fontenelle) et un opéra, Bellérophon, très brillant, qui sera remis en musique en 1773 par Berton et Grenier.
L’année 1680 marque la fin de la carrière de Thomas Corneille. Même s’il continue à écrire, il ne compte plus parmi les grands auteurs du théâtre français. Seront tout de même représentées : La Pierre philosophale (1681) jugée trop mystérieuse, une comédie de mœurs, L’Usurier (1685), Le Baron des Fondrières (1686), un drame lyrique, Médée (1693) avec la musique de Marc-Antoine Charpentier, une tragédie, Bradamante (1695), une comédie, Les Dames vengées (1695). Seule la dernière pièce citée connaît un succès éphémère.

Du théâtre à la gazette

Son théâtre n’étant plus sollicité, Thomas Corneille autrement appelé le « Sieur de Lisle » en fonction d’un souvenir familial, va se tourner vers d’autres activités. Sous l’impulsion de son ami Donneau De Visé avec lequel il écrit en 1679 une pièce à succès La Devineresse (quarante-sept représentations successives), il collabore dès 1677 au Mercure galant, gazette créée en 1672. Cette revue, autorisée par un privilège du roi du 15 février 1672, se fait le témoin des principaux événements de la ville et de la cour. Dès lors paraît à la fin de chaque mois un numéro de plus de deux cents pages qui assure une rente à Thomas Corneille, propriétaire de la gazette au même titre que Donneau De Visé alors malade.

Thomas successeur de Pierre à l’Académie

1684 est une année tragique pour Thomas Corneille : son frère Pierre meurt. Thomas en est très affligé. Mais Pierre Corneille disparu, c’est un siège de vide à l’Académie française. Il est donc naturel que ce soit Thomas qui prenne cette place. Ainsi, il est élu à l’unanimité le 2 janvier 1685. Il est reçu par Racine qui prononce ces mots : « Vous auriez pu mieux que moi rendre à Pierre Corneille les honneurs qu’il mérite, si vous n’eussiez appréhendé qu’en faisant l’éloge d’un frère avec qui vous aviez tant de conformité, il ne semblât que vous fissiez votre propre éloge. C’est cette conformité que nous avons tous eue en vue, lorsque tout d’une voix, nous vous avons appelé pour remplir sa place ».
Thomas Corneille est un académicien modèle. Il va prendre une part active aux travaux du Dictionnaire de l’Académie. Mais la prestigieuse assemblée est secouée par des divergences entre les partisans des Anciens et ceux des Modernes : commence alors la querelle des Anciens et des Modernes. Thomas Corneille penche davantage vers Perrault et Charpentier que vers Racine et Boileau. Dans cette mouvance, il subit les violentes attaques de La Bruyère, partisan des Anciens, auquel il s’oppose en faisant élire à l’Académie à une grande majorité Fontenelle, partisan des Modernes. La Bruyère n’est élu quant à lui que deux ans après. Or dans sa harangue d’investiture, il émet des restrictions quant à Pierre Corneille, ce qui blesse au plus profond Thomas qui se déchaîne à travers les lignes du Mercure galant : « L’ouvrage de M. de la Bruyère ne peut être appelé livre que parce qu’il a une couverture et qu’il est relié comme les autres livres… Il n’y a pas lieu de croire qu’un pareil recueil, qui choque les bonnes mœurs, ait fait obtenir à M. de la Bruyère la place qu’il a dans l’Académie ».
La Bruyère répond en parlant « d’injures grossières et personnelles » à son égard. Il présente Thomas Corneille et Donneau De Visé comme de « vieux corbeaux », des « oiseaux lugubres ». Thomas, excédé par ces violences verbales, décide de ne pas y répondre. Le 4 août 1694 la querelle des Anciens et des Modernes cesse, Perrault se réconciliant avec Boileau, Corneille avec La Bruyère.

Thomas Corneille lexicographe

S’il prend une part active aux travaux du dictionnaire, c’est aussi parce qu’il est un passionné de la langue. Il a entre autres publié, avant d’être académicien, une édition critique des Remarques de Vaugelas, ce « témoin du bon usage ».
Il réitère sur le sujet en 1687, en faisant paraître des notes intitulées Notes de M. Corneille sur les Remarques de M. de Vaugelas, suivant le sentiment du Père Bouhours et de messieurs Chapelain et Ménage, avec les Remarques mêmes, en deux volumes, format in-12°.

D’autre part pour faire pièce au Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts… d’Antoine Furetière, l’Académie charge Thomas Corneille de la rédaction d’un dictionnaire traitant de tous les termes de sciences et d’arts. C’est ainsi que paraît le 11 septembre 1694 le Dictionnaire des termes d’arts et des sciences en supplément au Dictionnaire de l’Académie.

Dans une autre perspective, il se consacre jusqu’en 1697, à une traduction des Métamorphoses d’Ovide, dont la première partie est donnée en 1669-1672. Puis vers 1702, il donne une Traduction des fables d’Ésope et de Philelphe, enrichie de discours moraux et historiques et de quatrains à la fin de chaque discours.
Entre temps, il est élu à l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, mais sa plus grande préoccupation reste néanmoins la rédaction d’un Dictionnaire universel géographique et historique (1708) commencé en 1694. C’est une œuvre de grande envergure qui lui a demandé « plus de quinze années d’un travail très assidu et presque sans aucun relâche » (Préface du Dictionnaire universel géographique et historique). Il espère ainsi percevoir de quoi subvenir à ses dépenses.

Par contre, vers 1700, il cesse de collaborer au Mercure galant. Il se prive ainsi d’une de ses principales ressources financières d’autant plus qu’il est dans une gêne profonde due au coûteux mariage de sa fille avec Fontenelle. Devenu aveugle, il obtient le titre de vétéran, créé spécialement pour lui par l’Académie française, ce qui le décharge, à partir de 1705 de toute obligation. Malgré tout il continue à classer les documents recueillis pour le dictionnaire, il dirige l’impression et corrige même les premiers tirages grâce à l’aide d’un lecteur.
Dès l’achèvement des travaux du dictionnaire vers 1708, il se retire aux Andelys dans la maison héritée de sa femme, mais il est toujours harcelé par les créanciers. Le 8 décembre 1709, meurt celui qui était surnommé « l’honnête homme ».

Même si des deux, c’est Pierre Corneille qui a eu le droit à la postérité, il ne faut pas omettre le travail considérable fourni par Thomas Corneille qui a écrit plus de quarante ouvrages de toutes sortes, faisant preuve de compétences diverses telles que journaliste, grammairien, historien, géographe, homme de science et surtout homme de théâtre. Voltaire dira de lui : « Le cadet n’avait pas la force et la profondeur du génie de l’aîné ; mais il parlait sa langue avec plus de pureté, quoique avec plus de faiblesse. C’était un homme d’un très grand mérite, et d’une vaste littérature ; et si vous exceptez Racine, auquel il ne faut comparer personne, il était le seul de son temps qui fût digne d’être le premier au-dessous de son frère ».

Bibliographie de Thomas Corneille:

Tragédies :

• Timocrate (1656) ;
• Stilicon (1660) ;
• Camma (1661) ;
• Ariane (1672) ;
• Essex (1678).

Comédies :

• Dom Juan (1677);
• La Devineresse (1679);
• Le Festin de Pierre (1673);

Les citations de Thomas Corneille

«Quiconque écrit s’engage.»
[ Thomas Corneille ] – L’amour à la mode

«Et quand on n’a pas ce qu’on aime, Il faut bien aimer ce qu’on a.»
[ Thomas Corneille ] – L’inconnu

«Le crime fait la honte et non pas l’échafaud.»
[ Thomas Corneille ] – Le Comte d’Essex

«Qui sauve un criminel se charge de son crime.»
[ Thomas Corneille ] – Timocrate

«Les belles passions cherchent les belles âmes.»
[ Thomas Corneille ] – Darius

«La naissance est l’appui des courages mal nés.»
[ Thomas Corneille ] – Timocrate

«Je crains ce que je veux, et veux ce que je crains.»
[ Thomas Corneille ]

«Si je suis devant vous, vous êtes devant moi.»
[ Thomas Corneille ] – Le Geôlier de soi-même

«Quand on a tout à craindre, on ne doit craindre rien.»
[ Thomas Corneille ] – Le Geôlier de soi-même

«Mais, quand on a vaincu, la passion expire, Ne souhaitant plus rien, on n’a plus rien à dire.»
[ Thomas Corneille ] – Le Festin de Pierre

«Et souvent, c’est l’effet des caprices du sort, Qu’au milieu des écueils on rencontre le port.»
[ Thomas Corneille ] – Le Geôlier de soi-même

«Quand on meurt pour le prince, on est mis dans l’histoire.»
[ Thomas Corneille ] – Le Geôlier de soi-même

Tragédies de Thomas Corneille

Thomas Corneille, Ariane, 1672

Extrait de l’Acte II, scène 7

ARIANE
Ah ! ma sœur, savez-vous ce qu’on vient de m’apprendre ?
Vous avez cru Thésée un Héros tout parfait,
Vous l’estimiez sans doute, et qui ne l’eût pas fait ?
N’attendez plus de foi, plus d’honneur, tout chancelle,
Tout doit être suspect, Thésée est infidèle.
PHÈDRE
Quoi, Thésée …
ARIANE
Oui, ma sœur, après ce qu’il me doit,
Me quitter est le prix que ma flamme en reçoit,
Il me trahit. Au point que sa foi violée
Doit avoir irrité mon âme désolée,
J’ai honte, en vous contant l’excès de mes malheurs,
Que mon ressentiment s’exhale par mes pleurs.
Son sang devrait payer la douleur qui me presse.
C’est là, ma sœur, c’est là, sans pitié, sans tendresse,
Comme après un forfait si noir, si peu commun,
On traite les ingrats, et Thésée en est un.
Mais quoi qu’à ma vengeance un fier dépit suggère,
Mon amour est encore plus fort que ma colère.
Ma main tremble, et malgré son parjure odieux,
Je vois toujours en lui ce que j’aime le mieux.
PHÈDRE
Un revers si cruel vous rend sans doute à plaindre ;
Et vous voyant souffrir ce qu’on n’a pas dû craindre,
On conçoit aisément jusqu’où le désespoir …
ARIANE
Ah ! qu’on est éloigné de le bien concevoir !
Pour pénétrer l’horreur du tourment de mon âme,
Il faudrait qu’on sentît même ardeur, même flamme,
Qu’avec même tendresse on eût donné sa foi.
Et personne jamais n’a tant aimé que moi.
Se peut-il qu’un Héros d’une vertu sublime
Souille ainsi … Quelquefois le remords suit le crime.
Si le sien lui faisait sentir ces durs combats …
Ma sœur, au nom des dieux, ne m’abandonnez pas.
Je sais que vous m’aimez, et vous le devez faire.
Vous avez dès l’enfance été toujours si chère,
Que cette inébranlable et fidèle amitié
Mérite bien de vous au moins quelque pitié.
Allez trouver … hélas ! dirai-je, mon Parjure !
Peignez-lui bien l’excès du tourment que j’endure.
Prenez, pour l’arracher à son nouveau penchant,
Ce que les plus grands maux offrent de plus touchant.
Dites-lui qu’à son feu j’immolerais ma vie,
S’il pouvait vivre heureux après m’avoir trahie,
D’un juste et long remords avancez-lui les coups.
Enfin, ma sœur, enfin je n’espère qu’en vous.
Le Ciel m’inspira bien, quand par l’Amour séduite
Je vous fis malgré vous accompagner ma fuite.
Il semble que dès lors il me faisait prévoir
Le funeste besoin que j’en devais avoir.
Sans vous, à mes malheurs où chercher du remède ?
(…)

Thomas Corneille à l’âge de 81 ans

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1905   19 août   

William-Adolphe Bouguereau, peintre français

William Bouguereau (30 novembre, 1825 – 19 août, 1905), né et mort à La Rochelle était un peintre français de style académique.

« On doit chercher la beauté et la vérité, monsieur ! Comme je dis toujours à mes pupilles, vous devez travailler à la finition. Il y a seulement un genre de peinture. C’est la peinture qui présente l’oeil avec la perfection, le genre de beau et impeccable émail que vous trouvez dans Veronese et Titian. »
William Bouguereau, 1895

Biographie

Les sources sur son état-civil complet sont contradictoires : certaines donnent William Adolphe Bouguereau, d’autres indiquent Adolphe William Bouguereau. La dénomination d’usage est "William Bouguereau".

Il est le fils d’un négociant en vins de Bordeaux et sa famille de conviction catholique, a des origines anglaises.

Il apprend le dessin à l’école municipale de dessins et de peintures de Bordeaux. En 1846 il entre aux Beaux-arts de Paris dans l’atelier de Picot sur la recommandation de J.P. Allaux. Il remporte le second prix de Rome ex-aequo avec Boulanger pour sa peinture Saint Pierre après sa délivrance de prison vient retrouver les fidèles chez Marie (1848).

Il remporte le Premier Prix de Rome en 1850 avec Zénobie retrouvée par les bergers sur les bords de l’Araxe.

En 1866 le marchand de tableaux Paul Durand-Ruel s’occupe de sa carrière et permet à l’artiste de vendre plusieurs toiles à des clients privés; il a ainsi énormément de succès auprès des acheteurs américains, au point qu’en 1878 lors de la première rétrospective de sa peinture pour l’exposition internationale de Paris, l’État ne peut rassembler que douze œuvres le reste de sa production étant expatriée aux États-Unis[1]. Il passe aussi un contrat avec la maison d’édition Goupil pour la commercialisation de reproductions en gravure de ses œuvres.

Professeur en 1888 à l’École des Beaux Arts et à l’Académie Julian de Paris, ses peintures de genre, réalistes ou sur des thèmes mythologiques sont exposées annuellement au Salon de Paris pendant toute la durée de sa carrière. Il travaille aussi à de grands travaux de décoration, notamment pour l’hôtel de Jean-François Bartholoni, et fait aussi le plafond du Grand-Théatre de Bordeaux.

En 1876, il devient membre de l’Académie des Beaux-Arts, mais l’année suivante est marquée par des deuils successifs , d’abord ses deux enfants et ensuite son épouse décèdent.

À un âge assez avancé, Bouguereau épouse, en deuxièmes noces, une de ses élèves, le peintre Elizabeth Jane Gardner Bouguereau. Le peintre use également de son influence pour permettre l’accès des femmes à beaucoup d’institutions artistiques en France, y compris l’Académie française.

Il meurt en 1905 à La Rochelle.

François-Alfred Delobbe fut un de ses élèves.

Un peintre de l’idéalisme

Peintre de l’Idéal de beauté, ses tableaux sur la mythologie grecque foisonnent et renvoient aux thèmes déjà repris par la Première Renaissance et le néo-classicisme, périodes qui ont influencé sa peinture, il a notamment abondamment traité des sujets allégoriques. De nombreuses scènes idylliques, champêtres et bucoliques constituent son répertoire.

Un bon nombre de ses tableaux illustre également les thèmes des liens familiaux et de l’enfance.

Entre toutes ses peintures, l’exclusivité quasi totale revient à l’image de la femme, avec Cabanel, Gervex et Gérome son nom est associé au genre du nu académique. En cela sa Naissance de Vénus est emblématique, d’une peinture sensuelle profondément influencée par les vénus d’Ingres. C’est avec ce genre qu’il connaitra le plus de succès mais rencontrera aussi le plus de critiques ; à cause de la texture lisse et minutieuse de sa peinture, Joris-Karl Huysmans dira à son encontre : «Ce n’est même plus de la porcelaine, c’est du léché flasque!». La renommée de Bouguereau est assez établie dans ce style pour que le peintre impressionniste Degas, quant à lui régulièrement refusé aux Salons officiels, parle péjorativement de «bouguereauté» pour qualifier le genre.

Après le deuil qu’il subit en 1877 il se tourne vers une peinture à thème religieux et délaisse les thèmes en rapport avec l’Antiquité de ses début

Postérité

Déconsidéré à partir des années 1920 jusque vers la fin du XXe siècle, sans doute, pour partie, à cause du désintérêt envers la peinture académique manifesté par plusieurs générations de critiques et d’historiens d’art, son œuvre commence à être redécouverte.

De son vivant, les toiles de Bouguereau étaient très recherchées par les nouveaux riches américains qui les achetaient à des prix élevés, de sorte qu’une grande partie de ses œuvres ont quitté la France.

Après sa mort, la peinture de Bouguereau connait une brusque dévalorisation que d’aucuns estiment due à une campagne de dénigrement de la part de la jeune génération de critiques d’art qui s’appuyant sur leurs aînés (Zola, Huysmans), favorables aux mouvements modernes de la peinture française, ne lui pardonnaient pas d’avoir été l’un des peintres représentatifs du style académique, et sa participation, pour le Salon des Artistes Français, au jury d’admission qui était majoritairement hostile aux mouvements modernes de la peinture (Cézanne surnommait le Salon « Salon de Bouguereau »[2]). Cependant le sort de Bouguereau fut commun à celui de presque tous les peintres dits péjorativement pompiers au début du XXe siècle. Pendant des décennies, le nom du peintre a même disparu des encyclopédies généralistes.

À partir des années soixante, Salvador Dali manifeste son admiration pour l’art de Bouguereau qu’il oppose à Picasso, et contribue à sa redécouverte. Depuis l’exposition rétrospective de ses œuvres organisée au Petit Palais à Paris en 1984, la réputation de Bouguereau s’est nettement rétablie et beaucoup voient maintenant en lui un des grands peintres français du XIXe siècle. Aux États-Unis, le Art Renewal Center promeut sa réhabilitation.

Galerie

William-Adolphe Bouguereau
Autoportrait

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Le jour par jour

1563   18 août   

Étienne de La Boétie, écrivain français

Etienne de La Boétie Poète et philosophe français [Poésie]
Né à Sarlat le 01 novembre 1530
Décédé à Germignan le 18 août 1563

« Soyez résolus de ne servir plus, et vous serez libres »
[Etienne de La Boétie]Discours sur la servitude volontaire

Biographie

Fils d’un lieutenant particulier du sénéchal du Périgord, et d’une famille de magistrats, Étienne de la Boétie grandit dans un milieu éclairé. Son entourage est principalement composé de bourgeois cultivés. Peu d’informations sur la plus grande partie de la vie de la Boétie (son enfance, son éducation, les premières années de sa magistrature) sont conservées. Ce qui est certain, c’est que la Boétie est encore fort jeune à la mort de son père. L’enfant est donc élevé par son oncle Estienne, qui prend le plus grand soin de l’éducation de son neveu. Il est pour ce dernier un second père, ce qui fait dire à Étienne « qu’il lui doit son institution et tout ce qu’il est et pouvait être ». De nombreux auteurs prétendent que la Boétie a fait ses humanités classiques au Collège de Guyenne à Bordeaux. Pourtant l’historien de cette institution n’y a jamais rencontré le nom de la Boétie parmi les élèves de cet établissement. Vers la fin de ses humanités, la Boétie développe une passion pour la philologie antique qui l’attire comme elle attire d’ailleurs tout son siècle. Il compose en manière de délassement, des vers français, latins ou grecs. Il rédige vingt-neuf sonnets amoureux et devient plus tard le traducteur des ouvrages de Plutarque, Virgile et Arioste. Par la suite il entame des études de droit à l’université d’Orléans. Au début de ses études universitaires ce jeune homme âgé de dix-huit ans seulement, écrit son premier ouvrage, qui deviendra plus tard la plus célèbre de ses œuvres, le fameux « Discours de la Servitude Volontaire ou Contr’un ».

Grâce à la réputation que la Boétie se fait au cours de ses études, il est admis en qualité de conseiller au parlement de Bordeaux en janvier 1553, deux ans avant l’âge légal. Le 13 décembre de la même année, il est élevé à l’office de Conseiller en la cour. À partir de 1560, la Boétie est chargé par Michel de l’Hospital d’intervenir dans diverses négociations pour parvenir à la paix dans les guerres de religion opposant Catholiques et Protestants. Entre-temps la Boétie se marie avec Marguerite de Carle, une veuve issue d’une famille considérée, et mère de deux enfants. Ces derniers sont le fruit du mariage entre le frère de Michel de Montaigne, Thomas, et l’épouse de la Boétie.

Vers le milieu de l’année 1563 un mal terrible terrasse la Boétie ; « c’est un flux de ventre avec des tranchées » . Il s’agit d’une dysenterie qui s’aggrave rapidement. La peste et la famine avaient éclaté dans le Périgord. Montaigne suppose que son ami en a rapporté le germe. Étienne de la Boétie tente de regagner le Médoc, où sont situées les terres de son épouse. Il espère que l’air pur des champs hâtera son rétablissement, mais il doit s’arrêter en route, tellement les douleurs sont fortes. C’est chez son collègue au Parlement, Richard de Lestomac, beau-frère de Montaigne, qu’il se repose. Il meurt peu après. Se rendant compte de la gravité de son état, Étienne de la Boétie dicte son testament. Il attend l’issue de la lutte avec courage et philosophie jusqu’à sa dernière heure. Dans une lettre adressée à son père, Montaigne décrit les particularités de cette maladie et de la fin de son ami. Il se met à calculer et termine sa lettre en des termes émouvants : « Le 18 du mois d’août de l’an 1563, Étienne de la Boétie expire. Il n’est âgé que de 32 ans 9 mois 17 jours ».

Le Discours de la servitude volontaire ou le Contr’un est un court réquisitoire contre la tyrannie, qui surprend par son érudition et sa profondeur, puisque rédigé par un jeune homme d’à peine 18 ans. Montaigne cherche à en connaître l’auteur : de sa rencontre avec La Boétie, naît alors une amitié qui va durer jusqu’à la mort de ce dernier.

Montaigne rend un très beau témoignage de leur amitié dans ses Essais, au chapitre 27 du livre 1. Après avoir longuement développé la question sur l’amitié qui le liait à La Boétie, il finit par dire: «Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu’accoinctances et familiaritez nouees par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. En l’amitié dequoy je parle, elles se meslent et confondent l’une en l’autre, d’un meslange si universel, qu’elles effacent, et ne retrouvent plus la cousture qui les a joinctes. Si on me presse de dire pourquoy je l’aymoys, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en respondant : Par ce que c’estoit luy, par ce que c’estoit moy».

Le texte de La Boétie pose la question de la légitimité de toute autorité sur une population et essaie d’analyser les raisons de la soumission de celle-ci (rapport domination / servitude). Les nombreux exemples tirés de l’Antiquité qui, comme de coutume à l’époque, illustrent son texte, lui permettent de critiquer, sous couvert d’érudition, la situation politique de son temps. Son manuscrit fut publié en 1576.

Discours de la Servitude Volontaire

Le Discours de la servitude volontaire constitue une remise en cause de la légitimité des gouvernants, que La Boétie appelle "maîtres" ou "tyrans". Quelle que soit la manière dont un tyran s’est hissé au pouvoir (élections, violence, succession), ce n’est jamais son bon gouvernement qui explique sa domination et le fait que celle-ci perdure. Pour La Boétie, les gouvernants ont plutôt tendance à se distinguer par leur impéritie. Plus que la peur de la sanction, c’est d’abord l’habitude qu’a le peuple de la servitude qui explique que la domination du maître perdure. Ensuite vient l’idéologie (que Marx appellera opium du peuple) et les superstitions. Mais ces deux premiers moyens ne permettent de dominer que les ignorants. Vient le "secret de toute domination" : faire participer les dominés à leur domination. Ainsi, le tyran jette des miettes aux courtisans. Si le peuple est contraint d’obéir, les courtisans ne doivent pas seulement obéir, mais devancer les désirs du tyran. Aussi, ils sont encore moins libres que le peuple lui-même, et choisissent volontairement la servitude. Ainsi s’instaure une pyramide du pouvoir: le tyran en domine cinq, qui en dominent cent, qui eux-mêmes en dominent mille… Cette pyramide s’effondre dès lors que les courtisans cessent de se donner corps et âme au tyran. Alors celui-ci perd tout pouvoir acquis.

Dans ce texte majeur de la philosophie politique, repris à travers les âges par des partis de colorations diverses, La Boétie oppose l’équilibre de la terreur qui s’instaure entre bandits, égaux par leur puissance et qui se partagent à ce titre le butin des brigandages, à l’amitié qui seule permet de vivre libre. Le tyran, quant à lui, vit dans la crainte permanente: n’ayant pas d’égaux, tous le craignent, et par conséquent, il risque à chaque instant l’assassinat. Elias Canetti fera une peinture similaire du « despote paranoïaque » dans son chef d’œuvre, Masse et puissance.

Si La Boétie est toujours resté, par ses fonctions, serviteur fidèle de l’ordre public, il est cependant considéré par beaucoup comme un précurseur intellectuel de l’anarchisme et de la désobéissance civile.

Pour comprendre les intentions qui conduisent Étienne de la Boétie à écrire le « Discours de la Servitude Volontaire ou le Contr’un », il faut remonter au drame qui a lieu vers 1548. « En 1539, François Ier, roi de France, tente d’unifier la gabelle. Il impose des greniers à sel près de la frontière espagnole, dans les régions qui en sont dépourvues. En réaction de cette tentative des soulèvements ont lieu. Le premier en 1542, puis le plus grand en 1548 à Bordeaux ». Le connétable de Montmorency rétablit l’ordre de manière impitoyable. Si l’on s’en rapporte à l’écrivain Jacques Auguste de Thou, ce serait sous l’impression de ces horreurs et cruautés commises à Bordeaux, que la Boétie compose le « Discours de Servitude Volontaire ».

Beaucoup s’imaginent que la servitude est forcée, alors qu’elle est toute volontaire. En tout cas c’est ce que la Boétie veut prouver dans son « Discours ». En effet, la question qu’il se pose, touche à l’essence même de la politique : « pourquoi obéit-on ? ». On admet généralement comme allant de soi l’existence d’un pouvoir absolu et on omet de se demander d’où vient l’obéissance. Un homme ne peut asservir un peuple si ce peuple ne s’asservit pas d’abord lui-même. Bien que la violence soit son moyen spécifique, elle seule ne suffit pas à définir l’État. C’est à cause de la légitimité que la société lui accorde que les crimes sont commis. Il suffirait à l’homme de ne plus vouloir servir pour devenir libre ; « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres ». A cet égard la Boétie tente de comprendre pour quelles raisons l’homme a perdu le désir de retrouver sa liberté. Le « Discours » a pour but d’expliquer cette soumission.

Tout d’abord la Boétie distingue trois sortes de tyrans : « Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race ».Les deux premiers se comportent comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, en général ne sont guère meilleurs, puisqu’ils ont grandi au sein de la tyrannie. C’est ce dernier cas qui intéresse la Boétie. Comment se fait-il que le peuple continue à obéir aveuglément au tyran ? Il est possible que les hommes aient perdu leur liberté par contrainte, mais il est quand même étonnant qu’ils ne luttent pas pour regagner leur liberté.

La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’il y a ceux qui n’ont jamais connu la liberté et qui sont « accoutumés à la sujétion ». La Boétie décrit dans son « Discours » : « Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance ».

La seconde raison, c’est que sous les tyrans les gens deviennent « lâches et efféminés ». Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils ne combattent plus pour une cause mais par obligation. Cette envie de gagner leur est enlevée. Les tyrans essaient de stimuler cette pusillanimité et maintiennent les hommes stupides en leur donnant du « pain et des jeux ». Ces absolutistes iront même jusqu’à dire qu’ils ont le pouvoir de guérir certaines maladies ; par exemple Hugues Capet, le premier Roi de France, prétendait avoir le pouvoir de guérir la maladie des écrouelles.

La dernière raison est sans doute la plus importante, car elle nous dévoile le ressort et le secret de la domination, « le soutien et fondement de toute tyrannie ». Le tyran est soutenu par quelques hommes fidèles qui lui soumettent tout le pays. Ces hommes sont appelés par le tyran pour être « les complices de ses cruautés » ou se sont justement rapprochés du tyran afin de pouvoir le manipuler. Ces fidèles ont à leur tour des hommes qui leur sont obéissants. Ces derniers ont à leur dépendance d’autres hommes qu’ils élèvent en dignité. À ces derniers est donné le gouvernement des provinces ou «le maniement des deniers ». Ce maniement est attribué à ces hommes « afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection ».

Tout le monde est considéré comme tyran. Ceux qui sont en bas de la pyramide, les fermiers et les ouvriers, sont dans un certain sens ‘libres’ : ils exécutent les ordres de leurs supérieurs et font du reste de leur temps libre ce qui leur plaît. Mais « s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de sa liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains sa servitude » ? En d’autres termes, ceux qui sont en bas de l’échelon sont bien plus heureux et en quelque sorte bien plus ‘libres’ que ceux qui les traitent comme des « forçats ou des esclaves ». « Est-ce là vivre heureux ? Est-ce même vivre ? », se demande la Boétie. Ces favoris devraient moins se souvenir de ceux qui ont gagné beaucoup auprès des tyrans que de ceux qui, « s’étant gorgés quelque temps, y ont perdu peu après les biens et la vie ».

Par ailleurs il est impossible de se lier d’amitié avec un tyran, parce qu’il est et sera toujours au-dessus. « Il ne faut pas attendre de l’amitié de celui qui a le cœur assez dur pour haïr tout un royaume qui ne fait que lui obéir. Mais ce n’est pas le tyran que le peuple accuse du mal qu’il souffre, mais bien ceux qui le gouvernent. » Pour achever son « Discours » la Boétie a recours à la prière. Il prie un « Dieu bon et libéral pour qu’il réserve là-bas tout exprès, pour les tyrans et leurs complices, quelque peine particulière ».

Les anecdotes sur Etienne de La Boétie

Une amitié indicible
Montaigne écrivit de Etienne de La Boétie : ‘si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi.’

Les citations d’Etienne de La Boétie

«Mon amour, c’est le fil auquel se tient ma vie.»
[ Etienne de La Boétie ]

«Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genou.»
[ Etienne de La Boétie ]

«Qu’une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son bonheur, mais qu’elle ne travaille pas elle-même à sa ruine.»
[ Etienne de La Boétie ] – Discours de la servitude volontaire

«J’aime ce qui me nourrit : le boire, le manger, les livres.»
[ Etienne de La Boétie ]

«La seule liberté, les hommes ne la désirent point.»
[ Etienne de La Boétie ] – Le discours de la servitude volontaire

«Car le feu qui me brûle est celui qui m’éclaire.»
[ Etienne de La Boétie ]

«Méfiez-vous de tout le monde et en particulier de ceux qui conseillent de vous méfier.»
[ Etienne de La Boétie ]

«Quelle malchance a pu dénaturer l’homme – seul vraiment né pour vivre libre – au point de lui faire perdre la souvenance de son premier état et le désir de le reprendre ?»
[ Etienne de La Boétie ] – Extrait du Discours de la servitude volontaire

La bibliographie d’Etienne de La Boétie

Discours sur la servitude volontaire
d’Etienne de la Boétie
[Littérature classique]
Résumé du livre
Comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ? Cette question, qui sera reprise par Spinoza et réactualisée par la domination totalitaire, est au coeur du ‘Discours de la servitude volontaire’ de La Boétie. Loin d’être un pamphlet d’inspiration libérale et démocratique, comme l’a cru à tort la postérité, ce livre reste à découvrir ; Pierre Clastres et Claude Lefort s’efforcent ici d’arracher La Boétie à la méconnaissance. N’est-il pas le grand antagoniste à la hauteur de Machiavel ? Comme si leurs deux noms symbolisaient le paradoxe du politique : Machiavel pensait le pouvoir avec la liberté ; La Boétie pensait le pouvoir contre la liberté.

La Servitude volontaire, suivi de "29 sonnets d’Etienne de la Boétie et d’une lettre de Montaigne"
d’Étienne de La Boétie (Auteur), Claude Pinganaud
Présentation
Montaigne dans le chapitre 28 du livre I des Essais – de l’amitié – prétend que «sa suffisance ne va pas si avant que d’oser entreprendre un tableau riche, poli et formé selon l’art» et qu’il s’est «avisé d’en emprunter un d’Étienne de la Boétie, qui honorera tout le reste de cette besogne».
Cette «besogne» étant rien de moins que Les Essais, on est en droit de penser qu’outre les devoirs d’amitié Montaigne manifestait pour le texte de son ami assez de considération pour avoir eu un temps l’idée de l’introduire au beau milieu de son grand œuvre.
Cette Servitude volontaire, la Boétie l’écrivit «par manière d’essai en sa première jeunesse (17 ans) à l’honneur de la liberté contre les tyrans».
En fait, jugeant que ce texte publié et modifié par «ceux qui cherchent à troubler et changer l’état de notre police sans se soucier s’ils l’amenderont (les protestants)» Montaigne s’est «dédit de le loger ici» pour lui substituer un autre ouvrage de son ami «produit en cette même saison de son âge plus gaillard et plus enjoué» les vingt-neuf sonnets intégrés au chapitre 29 du livre I des Essais pour Madame de Gramont, qui allait devenir la maîtresse d’Henri IV.
Le sort qui avait empêché l’introduction de La Servitude volontaire dans Les Essais va de même dans la première réédition faire disparaître les sonnets de l’œuvre de Montaigne.
Quant à la lettre que Montaigne écrivit à son père sur la mort de son ami, elle reste un des chefs d’œuvre de la littérature épistolière.

Les poèmes d’Étienne de la Boëtie

Amour, lors que premier ma franchise fut morte

Amour, lors que premier ma franchise fut morte,
Combien j’avois perdu encor je ne sçavoy,
Et ne m’advisoy pas, mal sage, que j’avoy
Espousé pour jamais une prison si forte.

Je pensoy me sauver de toy en quelque sorte,
Au fort m’esloignant d’elle ; et maintenant je voy
Que je ne gaigne rien à fuir devant toy,
Car ton traict en fuyant avecques moy j’emporte.

Qui a veu au village un enfant enjoué,
Qui un baston derriere à un chien a noué,
Le chien d’estre battu par derriere estonné,

Il se vire et se frappe, et les enfans joyeux
Rient qu’il va, qu’il vient, et fuyant parmy eulx
Ne peut fuir les coups que luymesme se donne.

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C’est Amour, c’est Amour, c’est luy seul, je le sens

C’est Amour, c’est Amour, c’est luy seul, je le sens :
Mais le plus vif amour, la poison la plus forte
A qui onq pauvre coeur ait ouverte la porte.
Ce cruel n’a pas mis un de ses traictz perçans,

Mais arcq, traits et carquois, et luy tout, dans mes sens.
Encor un mois n’a pas que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines je porte,
Et desjà j’ay perdu et le coeur et le sens.

Et quoy ? si cet amour à mesure croissoit,
Qui en si grand tourment dedans moy se conçoit !
Ô croistz, si tu peuz croistre, et amande en croissant.

Tu te nourris de pleurs ; des pleurs je te prometz,
Et, pour te refreschir, des souspirs pour jamais ;
Mais que le plus grand mal soit au moings en naissant !

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Auteur:Etienne de LA BOETIE

Étienne de La Boetie (1530-1563)
Son Discours sur la Servitude, écrit à 18 ans, demeure d’une étonnante actualité…

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